La plupart des malheurs qui surviennent dans l’existence ne sont que les fruits prévisibles de ces étreintes médiocres, de ces jouissances sans extase dont les hommes et les femmes se contentent. » Telle est la thèse du premier roman de Justine Arnal, qui nous raconte en à peine 80 pages, la bien curieuse naissance de Daisy, fille de Marguerite. Cette dernière, influencée par un slogan qui traînait dans le métro, n’a plus qu’une obsession : tomber enceinte. Son besoin est si subit et vital qu’« elle fit un test de grossesse, oubliant que rien ne s’était frayé un passage jusqu’à sa culotte depuis plusieurs mois ». Le résultat est, bien sûr, négatif. C’est alors que le récit prend des allures de conte fantastique, puisque Marguerite est visitée par une chimère à trois têtes, laquelle lui conseille de s’accoupler avec les plantes de la Forêt Noire. Là-bas, elle donnera naissance à son bébé, qui a grandi une dizaine de mois dans une poche de sa tête. Ensemble, elles forment un couple indissoluble. Marguerite lèche Daisy pour la nettoyer, et cette dernière boit son lait – à l’infini. L’on ne sait pas vraiment combien d’années passent ainsi, jusqu’à ce que l’enfant échappe à sa mère : des parties de son corps, peu à peu, disparaissent.
Ce court roman pétri de symboles fait exploser, littérairement, le phénomène très peu représenté de la maternité. Maternité au sens de conception, d’accouchement, d’allaitement. Marguerite ne peut être fécondée sans éprouver de plaisir ; ses mois d’attente sont « somptueux » ; la mise au monde de son enfant est vécue comme un vide qui ne sera jamais plus comblé. Justine Arnal dépeint un monde sans hommes, au cœur duquel les femmes sont toutes-puissantes. Elles peuvent se reproduire, jouir, mourir – seules. Illustrée très finement par Lola B. Deswarte, cette fable féminine et féministe ouvre grand les portes sur cet infini mystère qu’est celui de donner la vie, et nous laisse comme en suspens, avec des questions non résolues : « devenir mère, est-ce aller de vide en vide ? »
Camille Cloarec
Les Corps ravis, de Justine Arnal
Illustrations de Lola B. Deswarte
éditions du Chemin de fer, 88 pages, 12,50 €
Domaine français Les Corps ravis
mai 2018 | Le Matricule des Anges n°193
| par
Camille Cloarec
Un livre
Par
Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°193
, mai 2018.