Elle court. Elle trotte comme un poulain apeuré. Quitte la ville, traverse les campagnes, de l’eau coulant sur ses joues. Elle court « en regardant le ciel, toujours le même ciel, identique ciel », loin, toujours plus loin de l’amour perdu de « l’homme-chien ». Elle s’échappe vers « le Nord du monde », traversant l’Europe jusqu’aux paysages immuables de Norvège, là où elle pourra enfin se nettoyer, se trouver, « éclore » dans la blancheur immobile des jours sans fin. Le voyage est une quête panique (d’elle-même), une descente dans les profondeurs du corps (une parenthèse de la raison dans le sexe, dans la danse, dans l’excès), une errance goulûment ouverte aux autres (gueules cassées et exclus en tous genres). C’est aussi une expérience de la précarité, sans toit ni loi, à la périphérie du monde « civilisé » : « J’ai sauvage maintenant. J’ai sauvage. » C’est avant tout une défaite. Quand le souvenir des mains de l’homme-chien laisse place à « la peau douce » d’un enfant trouvé, quand l’amoureuse éperdue devient mère névrotique et que « dans les draps, l’amour est sans retenue », force est de dire que la tentative de trouver son propre centre de gravité a échoué. D’un amour fusion à l’autre, « le poulain trotteur » est condamné à la dépendance, à un nouvel emprisonnement, incapable qu’il est d’exister sans s’abîmer dans l’autre. Toxique, l’amour. Béant, le gouffre intérieur. Mais « avancer avec des mirages tout le monde fait ça ».
Dans ce premier roman nourri de son travail poétique ou de ses performances musicales avec le duo d’électro-poésie NATYOTCASSAN (voir Je ne sais pas danser), la langue très organique de Nathalie Yot dessine le portrait d’une femme perdue, sans frontières. Une femme tout court ? Car « les femmes se mettent dans des états hors limite, des états qui les avalent, les saccagent dans la poitrine. Elles s’esquintent définitivement les femmes, à finir inutiles, inutilisables, les larmes sur la langue. »
Valérie Nigdélian
Le Nord du monde, de Nathalie Yot
La Contre Allée, 152 p., 16 €
Domaine français Lignes de fuite
septembre 2018 | Le Matricule des Anges n°196
| par
Valérie Nigdélian
Un livre
Lignes de fuite
Par
Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°196
, septembre 2018.