En 1988, Daniel Fleury avait lancé un Prospectus dans la collection « Textes » de Flammarion. C’était alors le lieu des innovations textuelles. C’était aussi son premier roman. Il était court mais déjà très fantasque et d’une plume, si l’on en juge à l’aune de son nouveau livre, déjà bien en place. S’y notaient la forte influence de Raymond Roussel et des récits de voyageurs les plus variés, ce goût du patchwork qui fait les meilleurs fictionneurs (Arno Schmidt et consorts), et sans doute une couleur d’horizon très spéciale fixée sur un azimut tout personnel. Pour dire les choses autrement, Daniel Fleury n’en fait qu’à sa guise depuis cette date, qu’il le fait très lentement (trente ans), puisque ses récits témoignent d’un sens de la fiction totalement décomplexé. Voilà qui nous change en ces temps de thèmes standards, de récits poussifs et de fiches recopiées. « On est très arriérés, finalement (…) – Et, même, on est tout à fait jurassiques et crétacés ».
On le comprend dès la première brasse, Daniel Fleury incarne le post-exotisme souriant. « J’étais donc à flâner dans le souk. Je visitais le quartier des vitrines. J’avais – fendillée, la pulpe vous hallucine – piqué des grenades aux étalages. » Sur de nouveaux développements, avec un scénario plus roboratif et des personnages mieux dressés, La Poursuite en péniche du lac migrateur semble la continuation du Prospectus qu’elle amplifie terriblement, rendant aussi cinématographique que possible ses grands moments. D’abord, une fois encore, « La scène se passe dans le désert, ça oui. », et de préférence dans les sables de l’Asie centrale où un lac, le célèbre Kob Nor, a la ferme habitude de se déplacer, laissant les explorateurs crier « au sec… » et gesticuler dans des steppes hostiles, peuplées de margoulins et d’ostrogoths peu recommandables. Voilà du vrai roman d’aventures avec ressort, mauvais coups, paysages formidables et archéologies intempestives, on se régale. Vingt mille lieues dans les sables, ou bien encore Fritz Lang en Inde à la recherche de la falaise qui chante, voire les mines d’un quelconque roi Salomon des steppes et ses cités enfouies… « Ses hommes le regardaient creuser le sable sans intervenir mais ils s’approchèrent quand, ayant totalement nettoyé la base du pieu, il émit un puissant cri d’inventeur. »
Pousseront eux aussi un puissant cri les exégètes lorsque, plus tard, ils décrypteront les références touffues de ce roman des grandes aventures. Joie du narrat souriant, plaisir de la culture, Daniel Fleury est d’une générosité de grand moghol, laissant libre cours à la fantaisie de ses créatures, qui ne se privent d’aucune avanie, d’aucune dérive, multipliant les oasis où le lecteur peut à son tour goûter des heures divines.
« Des heures se passèrent sans qu’on pût dégager un début de passage entre les éboulements. Le souci de la faim et de la soif ne tarda pas. La faim, c’est toi, Dieu, qu’il l’a créée mais on ne sait pas que la soif, c’est toi Lucifer, qui l’a conçue. Alors, crapules, agenouillez-vous tous les deux et baissez les yeux devant moi.
Mais que manger ? Mais que boire ?
Trois jours. »
S’il souhaitait offrir un « papillotement » aux lecteurs de Prospectus, il y a tout lieu de croire que Daniel Fleury souhaite avec son nouveau livre lui proposer, au choix, une embolie (cérébrale par excès de lecture), une apoplexie (de rire) ou une dissolution dans le plaisir hédoniste. C’est louable car il est peu de littérature aussi physique et délicieusement intempestive par les temps qui courent.
Éric Dussert
La Poursuite en péniche du lac migrateur, de Daniel Fleury
Champ Vallon, 319 pages, 23 €
Domaine français Un post-exotisme souriant
mars 2019 | Le Matricule des Anges n°201
| par
Éric Dussert
Daniel Fleury nous raconte les aventures d’une bande de personnages en roue libre à la recherche d’un lac migrateur. Une fiction décomplexée.
Un livre
Un post-exotisme souriant
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°201
, mars 2019.