Depuis le fin fond des temps, qu’est-ce qui pousse l’homme à se mesurer au taureau ? Besoin d’exorciser la bête que chacun porte en soi ? Envie de ritualiser la mort, le sang, le carnage ? Volonté de ravir les tablettes de la loi ou autre objet magique que le bovin porterait entre les cornes ? Désir de sortir du lot, d’accéder au divin ? Tout cela n’est toujours pas très clair ! Exactement comme Harper, mi-yankee, mi-chicano, mi-cow-boy, mi-torero, mi-clochard, mi-étoile. Toujours dans l’entre-deux. Entre deux whiskies, deux défonces, complètement loser, voire perdant magnifique. Son père serait Robert Redford. Il le souhaite très très fort. « - John ! Ah, c’est bien John, ça va leur plaire, John Wayne, John Travolta, John Rambo. Ça ne fait pas très torero mais ça va leur plaire. Vous savez que John Rambo, à y réfléchir, ce n’est pas violent. On le voit bien au début du film, il ne cherche pas les ennuis, il marche le long d’une route, c’est tout. C’est la société qui fait de lui un sauvage. »
Pour honorer une dette, le voilà chez les branques, des montagnards aussi hirsutes que rudes dans un coin perdu de la Sierra Madre. Il doit affronter des vaches énormes, vicieuses. Il s’en sort plutôt bien jusqu’au moment où le maire du village déballe le cadeau qu’un cousin de Tijuana a chargé Harper de lui remettre. « Un bocal de pêches au milieu desquelles flottait un doigt coupé. Le vernis à ongles bon marché de Magdalena se dissolvait lentement et imprégnait les fruits. » Cette Magdalena, la propre fille du maire, Harper sera chargé de la retrouver. Happé dans une course-poursuite qui le mène dans des arènes en feu où il découvre un trésor, puis dans un bordel de Tijuana où il récupère la fille, il n’en finira alors plus de rouler fantomatique et prégnant encore et toujours dans notre inconscient. Une écriture cinglante aussi ambitieuse qu’efficiente. Des dialogues acérés. Des descriptions généreuses. Un souffle tendu. Une mélancolie matinée tout à la fois de nostalgie et de modernité. Un humour affirmé, frisant le burlesque. Une poésie. « Il y avait tout au Durango, de l’essence, un bar, un menu “voyageur”, quelques chambres à l’étage, la télévision installée en plein air, des transats et un serpent d’ampoules qui se balançait dans la brise. »
Jean-Baptiste Maudet, géographe de profession rend ici un magnifique hommage au western, ainsi qu’à l’acteur-poète récemment disparu Sam Shepard dont ces quelques vers tirés du somptueux Lune Faucon (Christian Bourgois, 1987) préfacent l’ouvrage. « Comme au cinéma/ Comme la vie imitant le cinéma/ Comme la chair et le sang. »
Dominique Aussenac
Matador yankee, de Jean-Baptiste Maudet
Le Passage, 190 pages, 18 €
Domaine français Ouest pas si terne
mars 2019 | Le Matricule des Anges n°201
| par
Dominique Aussenac
Par un premier roman joyeusement déjanté, Jean-Baptiste Maudet nous invite au Mexique à dompter le soleil.
Un livre
Ouest pas si terne
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°201
, mars 2019.