Récit lancinant, obsessionnel, d’un amour non moins obsessionnel, comme si l’obsession était la condition première – la seule ? – de la passion, Madame Jules est le monologue circulaire, répétitif (musicalement répétitif) des atermoiements d’une femme qui autant ou davantage que l’épouse est l’amante de son jules (les deux conditions, la respectable et la frénétique, se renforçant l’une l’autre), ce Monsieur Jules qu’elle appelle sans cesse, comme on respire, comme on ponctue les phrases de halètements, de soupirs, « mon mari, mon amant ». Il s’agit de « se laisser guider, se laisser transporter, se laisser faire, se laisser aller » en sa compagnie dans le lit, cénacle unique de la passion crue (le livre n’a pas peur d’appeler un chat un chat) quand tout le reste n’est que faux semblants. Seulement, quand bien même l’intensité et la justesse de leur relation ne fait pas de doute pour Madame Jules – elle est la seule, il est le seul ; les autres ne sont qu’à peine des ombres –, quelque chose se met à clocher et la passion érotique, ses deux âmes qui se fondent et se perdent en fluides, frottements et succions, commencent à tanguer. Le récit sera donc celui d’un doute, d’une tentation, assouvie ou non, le désir étant ce qui est toujours et jamais assouvi : « J’ai oublié qu’il y avait un autre monde que celui de ma chambre », dit notre narratrice en pleine confession libidinale, comme effrayée par sa propre découverte. Cette tentation, c’est un certain Auguste, « ce déprédateur, cet imbécile, cet importun », qui l’incarne en lui faisant des avances lors d’une soirée mondaine, faisant éclater ce théâtre de fantômes qu’était jusqu’ici l’extérieur, faisant alors découvrir à la protagoniste « le trouble du trouble », elle qui ne connaissait que « la certitude de la certitude ». Et la voici qui « tourne lestement dans la rue », en quête peut-être de cette mauvaise vie jusqu’ici confinée à l’espace de la chambre et réservée à son Monsieur Jules, le seul jules, l’unique, de cet étrange roman libertin qui se joue de son anachronisme dans une prose aussi simple qu’hypnotique.
Guillaume Contré
Madame Jules d’Emmanuel Régniez
Le Tripode, 140 pages, 15 €
Domaine français Madame Jules
mai 2019 | Le Matricule des Anges n°203
| par
Guillaume Contré
Un livre
Par
Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°203
, mai 2019.