Vincent Message, anatomiste de nos vies
Nous voici en plein mythe d’Orphée. Mathias, le narrateur du troisième roman de Vincent Message, a fait des études de journalisme attiré par « ce dialogue de fantômes qui se regardent à travers les années, qui sont plus ou moins pâles, qui aimeraient tous, on imagine, retrouver des couleurs, mais qui en attendant qu’on vienne redessiner leurs formes, faire entendre la voix qu’ils avaient, les prendre pour sujets involontaires de ces tentatives de résurrection qui ne marchent jamais vraiment, se tiennent là, en grande foule, un peu raides et un peu empruntés, flottant dans la spirale du temps, se tiennent là et se taisent. » Désireux de redonner voix et vie à quelques-uns de ces fantômes du passé, Mathias s’est lancé dans une enquête sur un drame qui eut lieu en juin 2012, quelques années avant sa naissance. Son support, et cela réjouit, n’est ni la télé, ni la radio, internet ou un journal : c’est un livre qu’il écrit, celui-là même qu’on lit. Un livre d’enquêtes fouillées comme on n’en voit plus, étayées de témoignages, de reconstitutions mais aussi d’une nécessaire imagination pour combler les zones d’ombre, l’absence de témoins ou de traces. Mathias s’attache à suivre Cora, jeune maman parisienne qui lorsque le livre commence, revient d’un congé maternité retrouver son poste au siège de la compagnie d’assurances Borélia. Dès la première page, elle est dans le métro, sous terre donc, et on va la suivre de très près durant sa longue descente aux enfers.
Nous voici en plein roman populaire. Mathias, et Vincent Message qui met en place le théâtre d’ombres, annoncent qu’un drame va avoir lieu qu’immanquablement le lecteur se met à imaginer. L’effet d’annonce, renouvelé plusieurs fois, introduit un suspens, une attente et débride l’imagination. Dans l’hyperréalisme du roman, le lecteur imagine tous les scénarios possibles, établit toutes les hypothèses et ne découvrira qu’à la page 393 qu’il n’avait pas pensé à ça. Ou il ne découvrira rien : abasourdi comme s’il avait été changé en statue de sel, il déglutira, s’arrêtera de respirer, pris au piège émotionnel d’une fiction qui aura rendu palpable la violence invisible du réel.
Nous voici dans un roman historique. Où c’est notre présent qui est étudié, autopsié, décrypté. Une histoire récente pour nous qui formons l’armée de fantômes qu’évoquait Mathias. Une histoire du capitalisme au XXIe siècle : comment celui-ci transforme les sociétés familiales (ce qu’était « Les Prévoyants » avant de devenir Borélia) en broyeuses de vie. Comment la production est supplantée par le marketing, la communication. Comment les ressources humaines finissent par oublier le sens même du mot humain. L’historien n’est pas, ici, un idéologue. Sa façon de décrire de l’intérieur la société où travaille Cora n’est pas guidée par des a priori : pas de gros traits rageurs, pas de caricature, mais tout l’inverse. Si Dieu gît dans les détails, la vérité aussi et Cora dans la spirale impressionne par le soin apporté...