Parfois, comme les yeux fatigués, les titres se croisent. Alain Fleischer n’avait-il pas intitulé un de ses livres Le Carnet d’adresses ? On confirme, c’était en 2008. Ce Carnet d’adresses-là est signé d’un autre, Didier Blonde, et il n’est pas totalement inédit. Cette édition fusionne, en l’enrichissant, deux de ses précédents livres parus en 2010 et 2012 ; le premier, Carnet d’adresses, publié par J.-B. Pontalis chez Gallimard et le second, Répertoire des domiciles parisiens de quelques personnages fictifs de la littérature à l’enseigne de La Pionnière. Bonne idée de les agréger aujourd’hui. Didier Blonde est probablement de ceux qui sacralisent davantage le bottin que la Bible. Pas étonnant dès lors qu’il ait composé au fil du temps ce passionnant annuaire littéraire. Minutieusement, l’homme recense, inventorie, repère les adresses parisiennes des protagonistes de ses nombreuses lectures. Puis il délaisse le papier pour le macadam de Paname. Il se rend sur le terrain pour voir. Comprendre : pour vérifier ce qui, du livre, est vrai ou faux. Lire le fait donc marcher, marcher le fait écrire ; pour boucler la boucle, bon pied bon œil M. Blonde doit avoir.
« Les immeubles parisiens sont des palimpsestes de l’imaginaire romanesque », écrit l’intéressé qui admet volontiers son « fétichisme des lieux ». Et notre « détective de l’imaginaire » de plaider « pour une signalisation de l’invisible. Il est temps que la ville reconquière le terrain perdu de son imaginaire, et que la Mairie de Paris (…) mette à l’honneur ses héros ». On ne sache pas que ce soit pour l’heure dans le programme de Dame Hidalgo ou des autres candidates au poste d’édile en cheffe ; il est toujours temps de rectifier le tir… Si un jeu d’adresse met en valeur la dextérité des joueurs, ce jeu-ci, qui pourrait être dit d’adresses, met en avant l’opiniâtreté de l’enquêteur. « Ma lecture est devenue une combinatoire qui s’est étendue à toute la capitale pour un nouveau jeu de société », peut-on lire encore dans le texte qui sert d’introduction au répertoire proprement dit. Index des rues et des arrondissements à l’appui, chacun arpentera le livre en suivant ses inclinations propres. On peut tout lire, bien sûr, si on est possédé par le démon de l’érudition. Ou préférer des sauts de puce en allant de l’un à l’autre de ses personnages de prédilection : de D’Artagnan à Zazie, de Bardamu à Valjean, de Bel-Ami, Charlus et Ferragus à Maigret, Bob Morane et Rastignac, multiples sont les itinéraires possibles.
Par exemple, mais pas par hasard car c’est l’un des héros favoris de Didier Blonde et celui qui est à l’origine de sa douce-dingue manie, prenons le cas d’Arsène Lupin. C’est l’une des entrées les plus fournies du Carnet : il faut dire que le gentleman-cambrioleur imaginé par Maurice Leblanc a la bougeotte. Hôtels particuliers, appartements, rez-de-chaussée et même cellules (celles de la prison de la Santé, dans le XIVe), les points de chute de l’habile Lupin sont labiles. Bref, sur votre coin d’étagère réservé aux guides, faites donc place – et fête – à celui du grand Blonde avec ses chaussures parisiennes.
Anthony Dufraisse
Carnet d’adresses de quelques personnages fictifs de la littérature, de Didier Blonde, L’arbalète/Gallimard, 244 p., 19 €
Domaine français Jeu d’adresses
juin 2020 | Le Matricule des Anges n°214
| par
Anthony Dufraisse
À Paris, où logent les personnages romanesques ? Pour le savoir, consultez l’annuaire littéraire de Didier Blonde.
Un livre
Jeu d’adresses
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°214
, juin 2020.