Sur les chemins de Sébastien Lapaque
Reclus quelques jours à l’aube de son jubilé dans un lieu saint où même l’accès à internet était réduit, Sébastien Lapaque possède cette qualité très enviable de transporter avec lui toute une bibliothèque gravée dans sa mémoire. Son esprit, curieux de mille choses et nourri aux humanités, semble ainsi habiter plusieurs lieux et époques en même temps. Une façon peut-être de vivre mille vies sans jamais se perdre, sans s’absenter d’un chemin qui pointe vers l’essentiel malgré le chant des sirènes du divertissement. L’impossibilité d’un entretien en « présentiel » avec ce prince des buveurs nous aura épargné une longue et légère ivresse (propre aux vins nature). Et comme l’interroger sur son œuvre par le biais de successives cartes postales aurait pris une bonne part d’éternité, c’est par le truchement de froids courriels que nous avons dû procéder.
Sébastien Lapaque, comment aborder votre nouveau roman : Ce monde est tellement beau ? Son narrateur, Lazare, affiche trop clairement des caractéristiques qui le démarquent de vous (il ne connaît rien ni au vin ni au rugby et ne s’intéresse pas au foot) pour que cela ne désigne pas le parfait alter ego. Et l’on trouve dans ce roman des personnages croisés dans votre « contre-journal », comme le très central Saint-Roy ?
Vous avez raison. Je n’y ai pas pensé. Le caractère, les goûts et les dégoûts de Lazare sont trop subtilement démarqués des miens pour que cette démarcation ne soit pas digne d’attention. Les Identités remarquables, le roman que j’ai publié en 2009, apostrophait le personnage principal à la deuxième personne du singulier : « Tu vas mourir, aujourd’hui, et tu ne le sais pas encore. Le sauras-tu jamais, même à l’ultime instant ? Ton esprit est occupé par tant d’autres choses. L’idée d’un terme irrévocable s’éloigne de ton esprit à mesure que tu t’en approches. » Ce monde est tellement beau, qui est mon cinquième roman publié chez Actes Sud depuis Les Barricades mystérieuses, est le premier rédigé à la première personne du singulier. Dans mon travail d’élaboration qui fut long et minutieux – sept ans de réflexion au total –, je semble avoir pris un soin extrême à ce que le moi exprimé dans le roman soit un autre moi que celui que je manifeste dans mes habitudes, dans la société, dans mes vices, comme dit le petit Marcel dans Contre Sainte-Beuve. Vous avez ainsi remarqué que Lazare, dans l’un des derniers chapitres du roman, reste de marbre lorsque son père commande une bouteille du millésime 2003 du grands-échézeaux du Domaine de la Romanée-Conti pour accompagner un lièvre à la royale au restaurant Le Grand Monarque à Chartres. Cette indifférence n’est pas digne de l’auteur du Petit Lapaque des vins de copains, de Chez Marcel Lapierre et de Théorie de la bulle carrée ! J’ai mangé trop de lièvres à la royale à la table de mon ami Yves Camdeborde, à la Régalade et au Comptoir du Relais, pour être insensible à ce plat de caractère, émouvant comme un soleil couchant sur...