On l’a connu sarcastique, désabusé, drôle, provocateur, doux aussi. On le retrouve intact, fidèle à lui-même, la gravité ou une sorte de maturité en plus. Iain Levison signe son huitième roman et poursuit inlassable – ou mieux, implacable – la radiologie de son pays d’adoption. L’Amérique qu’il raconte ne ressemble à aucune autre, c’est celle des oubliés, travailleurs précaires, petites frappes au grand cœur, femmes et gamins abandonnés. Il s’est forgé un mode d’écriture bien à lui, louvoyant entre passé et présent, personnages et narrateurs à la forte personnalité, parfois foutraque, cassée, souvent attachante. Il déploie plusieurs fils narratifs, avance image par image, met en scène suspense et trouble, balaie à plaisir la morale, brouille la frontière entre le bien et le mal et retombe sur ses pattes : il est un bâtisseur de récits à ranger entre Ken Loach et les frères Coen, des cinéastes, mais il n’y a pas de hasard. Tous sont des visionnaires, des raconteurs d’histoires à hauteur d’homme (et de femme). L’auteur d’Un petit boulot regarde le monde autour de lui et s’en empare comme pour mieux le dorloter. Il voudrait protéger les humbles, les sans beaucoup de chance, les trop tendres. Alors, il mijote de sales coups aux suppôts du capitalisme, du libéralisme à tous crins. Détenteurs du pouvoir, politiques, patrons, flics, vous les violents, vous les lâches, vous les malfaiteurs de l’humanité, méfiez-vous de l’écrivain. Il vous a l’œil. Son bonheur : vous malmener dans ses romans.
Pour services rendus (2018) s’ouvrait sur une scène impitoyable de guerre, celle d’un bourbier au Vietnam où de jeunes soldats US se faisaient fracasser alors qu’eux-mêmes massacraient la population d’un village. Réalisme à couper le souffle et rythme tendu jusqu’à l’effroi. Idem dans Un voisin trop discret où l’écrivain coince le lecteur en Afghanistan en compagnie de deux combattants des Forces spéciales – l’élite –, un sniper (celui qui tire) et son guetteur (celui qui outillé d’ordinateur calcule le vent, la poussière, etc.). Ils sont en planque depuis plusieurs jours. Leur cible, un hadji, est à plus de mille mètres, eh oui, à plus d’un kilomètre de distance. Ce sont des « machines à tuer ». Ils ont été formés pour ça. C’est leur job, leur fierté. Changement d’attitude quand ces deux-là rentrent au pays en permission. Le sniper, nourri à la haine, ne sait que battre sa femme ; le guetteur, un gars qui veut s’en sortir, cherche à mieux cacher son homosexualité. Soldat et gay, ça ne le fait pas. Un mariage blanc sera la solution.
Iain Levison excelle dans les intrigues à tiroirs. Il fait graviter autour de ses personnages de soldats et d’épouses (même fausse) un énigmatique chauffeur de taxi. Un type taciturne qui ne désire qu’une chose : qu’on lui fiche la paix même s’il faut enjamber un cadavre… L’Amérique dans tout ce qu’elle a de foutraque et de magique… comme produire des écrivains de cette trempe.
Martine Laval
Un voisin trop discret
Iain Levison,
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Franchita Gonzalez Batlle
Liana Levi, 250 pages, 19 €
Domaine étranger Tu ne battras pas ta femme
mars 2021 | Le Matricule des Anges n°221
| par
Martine Laval
l’écrivain prend une fois de plus l’Amérique et ses violences pour cible. Il mène plusieurs intrigues qui s’imbriquent jusqu’à un dénouement rocambolesque.
Un livre
Tu ne battras pas ta femme
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°221
, mars 2021.