Cinquante ans après le meurtre de Jane, plusieurs générations dont celle des féministes des années 1970 ont eu le temps d’espérer la fin de ce qui n’avait pas encore de mot : les féminicides. Il y a seize ans, Maggie Nelson publiait Jane, un meurtre, une enquête socio-littéraire, à partir de l’assassinat de sa tante Jane commis en 1969, dans le Michigan, alors qu’elle avait 23 ans. Les Édition du sous-sol la publient aujourd’hui dans la très juste traduction de Céline Leroy. « Le livre de Jane » se présente sous deux volets : une première forme très éclatée mêlant poésie, récit, souvenirs et extraits de journal intime et Une partie rouge qui revient sur le procès de 2004. Familière de l’hybridation des genres, l’auteure des Argonautes explore quantité de formes comme autant de pièces à conviction pour ne rien céder au silence et à l’incertitude juridique : « ce qui s’est passé pendant cinq heures et demie entre Jane et son meurtrier est un abîme si noir qu’il pourrait avaler tout un soleil sans laisser la moindre trace ». Maggie Nelson rend hommage à cette jeune femme pleine de vie, indécise et rebelle. Aucune autorité dans ce montage littéraire qui laisse à la lectrice et au lecteur le soin de recoller les pièces du puzzle. Comme une manière de rappeler à quel point la fiction mord étrangement sur la réalité, la police judiciaire passera au crible le livre de Maggie Nelson. Son écriture sobre qui évite tout pathos lui permet de sonder la douleur, le poids d’un drame familial, du secret et de « ressusciter » Jane, ainsi que le confie sa sœur, la mère de l’auteure, après lecture des épreuves. On a rapproché son travail de celui de l’essayiste de la photographie et romancière Susan Sontag. Maggie Nelson semble avoir trouvé ici une forme digne de la douleur causée par un crime des plus glaçants.
Flora Moricet
Jane, un meurtre suivi de Une partie rouge
Maggie Nelson
Traduit de l’anglais par Céline Leroy et Julia Deck
Éditions du sous-sol, 448 pages, 23 €
Domaine étranger Écrire le féminicide
juin 2021 | Le Matricule des Anges n°224
| par
Flora Moricet
Un livre
Écrire le féminicide
Par
Flora Moricet
Le Matricule des Anges n°224
, juin 2021.