Les éditions José Corti sont l’une des maisons les plus singulières et les plus autonomes fondées au siècle dernier, en 1938. Sa double transmission en 1984 et 2022 par ses propriétaires à des éditeurs de la génération suivante sans relation familiale en fait par ailleurs un cas unique dans les annales de l’édition française et en dit long sur l’esprit qui y règne : « Rien de commun » affirme d’ailleurs depuis la guerre le logo de la maison (une rose des vents). Entre le surréalisme des débuts, Julien Gracq dans l’après-guerre, l’histoire littéraire, le romantisme, la poésie, les traductions et les enjeux contemporains autour du sensible et de la nature interrogés depuis 2012 par la collection « Biophilia », la nef tient toujours fermement la mer.
À quel moment vous est venue l’idée de devenir les éditeurs à la marque de la rose des vents, l’emblème de Corti ?
Marie de Quatrebarbes : C’est d’abord l’idée de Fabienne Raphoz et Bertrand Fillaudeau, qui ont dirigé les éditions Corti jusqu’en 2022 et qui nous ont proposé, en septembre 2018, de prendre leur suite. Leur souhait était de transmettre les éditions à des personnes de leur choix. L’histoire des éditions Corti a été marquée par le geste fort de José Corti qui a transmis, à sa mort, en 1984, ses éditions à Bertrand Fillaudeau, qui travaillait avec lui depuis plusieurs années. Quelques années après, Fabienne Raphoz l’a rejoint à la tête des éditions où elle a créé plusieurs collections, dont la « Série américaine », dont nous étions, Maël et moi, des lecteurs très assidus. Cette transmission, c’est aussi et surtout une histoire d’amitié et de complicité humaine et intellectuelle. En 2015, Fabienne a accueilli le livre de Maël, Voire, dans le « Domaine français », et nous sommes devenus amis. Cette amitié a été évidemment encore renforcée par la transmission hors norme des éditions. C’est une chose rare dans l’histoire de l’édition : une maison d’édition qui se transmet sur trois générations, sans lien de parenté, en veillant à conserver, pendant plus de 85 ans, son indépendance.
N’est-il pas impressionnant d’assumer la devise de la maison, « Rien de commun » ?
Maël Guesdon : José Corti rappelle, dans ses Souvenirs désordonnés, qu’il a choisi d’entourer, sur la couverture de ses livres, le monogramme de la rose des vents par ces trois mots afin de se démarquer durant l’Occupation de l’émission de propagande allemande intitulée « La Rose des vents », diffusée sur Radio-Paris. « Rien de commun », c’est donc d’abord ce signe de protestation, si ce n’est de résistance, qui vient protéger la rose des vents « comme une coquille ». Et pour nous qui étions d’abord des lecteurs du catalogue Corti, c’est, aussi et avant tout, cette formule qui accompagne des livres que nous avons lus et relus. Les Œuvres complètes de Lautréamont, George Oppen, Emily Dickinson, L’Anatomie de la mélancolie de Robert Burton, Ghérasim Luca, Lorine Niedecker, etc. La formule était...
Éditeur Toujours pas pareille
mai 2023 | Le Matricule des Anges n°243
| par
Éric Dussert
Sous le signe de la rose des vents, la maison fondée par José Corti poursuit son chemin avec deux nouveaux capitaines. Visite des cales et des boussoles.
Un éditeur