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Domaine étranger Abus dans le bush

mai 2023 | Le Matricule des Anges n°243 | par Camille Cloarec

une famille volcanique, marquée par la violence et les non-dits, incarne à elle seule la spoliation dont sont victimes les populations aborigènes.

Celle qui parle aux corbeaux

Après une plongée au cœur de l’horreur des pensionnats canadiens (Cinq Petits Indiens de Michelle Good, autrice et avocate membre de la nation crie Red Pheasant), le deuxième titre de la collection « Voix autochtones », tout juste lancée par les éditions du Seuil, nous entraîne auprès de la communauté bundjalung dans la Nouvelle-Galles du Sud, en Australie. La plus jeune des Salter, Kerry, la trentaine, rejoint à contre-cœur sa ville natale où se meurt Pop, son grand-père, un ancien boxeur féru de paris. Là-bas, elle retrouve tout ce qu’elle a fui : l’atmosphère explosive qui imprègne le foyer étriqué, les accès incontrôlables de colère de son frère Kenny, désœuvré et alcoolique, ainsi que l’ambiance étouffante du quartier, sur lequel règnent les « commères du coin et leurs langues-ouragans ». Les reproches à demi-voix de sa mère, Pretty Mary, qui la surnomme « la Grande Abandonneuse », n’améliorent guère la situation. Après avoir perdu son mari et l’une de ses filles, cette dernière a trouvé refuge auprès des Témoins de Jéhovah et des cartes de tarot, ne se laissant « jamais démonter par aucune catastrophe parce qu’il existait toujours un précédent, quelque part dans l’immense banque de souvenirs de l’époque où elle buvait ».
Beaucoup d’autres personnes gravitent à travers les quelques pièces brinquebalantes : Donny, le fils introverti et mal dans sa peau de Kenny ; Black Superman, le frère prodigue qui a intégré la fonction publique ; une flopée d’oncles, de tantes et d’enfants ; l’absence criante de Donna, la sœur disparue à l’âge de 19 ans. Mais malgré l’apparente ébullition au sein de laquelle la maisonnée semble se dissoudre, c’est un sentiment de torpeur qui domine. « Cette baraque est comme un putain de service des comateux », résume d’ailleurs Kenny dans un éclair de lucidité.
Alors que Kerry cherche à faire le deuil d’une relation amoureuse tout en luttant contre les souvenirs coriaces de son enfance, une menace s’abat sur la famille : celle de l’appropriation de l’Ava’s Island, l’île associée à leur arrière-grand-mère, par le maire de la ville pour y construire un centre pénitentiaire. Cette énième injustice va mobiliser les « Abos » (dits aussi « blackfellas ») contre les « dugais » (c’est-à-dire les « sauvagesnormauxblancs » ou encore « whitefellas »).
En dressant un portrait de cette famille à fleur de peau, qui tente du mieux qu’elle peut de refouler blessures et traumatismes tout en laissant déborder sa fureur, Melissa Lucashenko esquisse un monde tout en contrastes et injustices. L’autrice, dont il s’agit du sixième roman, est également co-fondatrice d’une association venant en aide aux femmes incarcérées – la prison occupe une place importante dans le récit, la plupart des personnages ayant un casier judiciaire plutôt fourni. Ceux-ci sont évoqués avec beaucoup de sensibilité et de justesse, sans qu’aucun jugement moralisateur ne soit porté sur leurs actions. Ce qui apparaît comme une évidence, en revanche, c’est la colère collective et individuelle face à l’ampleur de la perte infligée par les Blancs, reproduite à l’identique d’une génération à l’autre. Un dénuement et une rage que reflètent puissamment les dialogues de Celle qui parle aux oiseaux, imprégnés d’argot, d’insultes et de termes propres à la communauté bundjalung fidèlement restitués par la traduction de David Fauquemberg. Cependant, même dans la détresse la plus profonde le lien sacré avec les aîné·es ne s’amenuise pas. Ainsi les tombes « distillaient l’histoire de votre famille. Elles prenaient ce que vos ancêtres avaient fait, qui ils étaient, et vous donnaient tout ça en un seul et même endroit, pour que vous puissiez vous y rendre et méditer sur leurs vies et en tirer les leçons nécessaires pour pouvoir continuer ».

Camille Cloarec

Celle qui parlait aux corbeaux
Melissa Lucashenko
Traduit de l’anglais (Australie) par David Fauquemberg
Seuil, 432 pages, 23

Abus dans le bush Par Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°243 , mai 2023.
LMDA papier n°243
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