Si l’on est à la mode, on nomme ça de la manière dont Hippocrate nommait ses préceptes de médecine : « aphorisme » (définition en grec). Cependant la forme, d’autant plus goûteuse qu’elle est ramassée, s’est toujours appelée « maxime ». On tient François de La Rochefoucauld (1613-1680) pour le créateur du genre, et, de fait, dans le salon de la marquise de Sablé (1599-1678), qui en écrivit elle-même, il en fit son talent particulier. Au point qu’il est le seul à les avoir publiées de son vivant. Celles que l’on connaîtra par la suite signées de Chamfort, Rivarol, Joubert ou Chateaubriand furent exclusivement posthumes. Il fallait donc un peu d’audace à Roger Judrin pour raviver la maxime en en publiant avant de trépasser à partir de Ténèbres d’or (L’Aire, 1980). Son premier livre avait été Dépouille d’un serpent, roman à la française (Minuit, 1955 ; l’Arbre vengeur, 2012) édité dans l’amitié de Georges Perros et de Marcel Arland qu’il avait rencontré avec Paulhan et Dominique Aury en 1953 (il écrivait depuis 1941). Le sédentaire avait trouvé sa gangue d’autant que « La correspondance est la vraie compagnie des gens d’esprit. Une lettre nous représente mieux un ami que n’eussent fait sa présence et la nôtre. » Plus tard, au fil de ses livres, il éprouva la maxime dont il goûtait le jeu laconique. « J’ai voulu rappeler, disait-il, malgré la diète de la littérature, et parmi le vacarme des boutiques, mais à la faveur de l’engouement pour les adages qu’excite aujourd’hui la guerre de l’argent, que la maxime conservait des droits sur les choses du cœur et de l’esprit » (1985).
Installé à Compiègne par « nécessité guerrière », l’enseignant Judrin fut tout au long de sa vie d’une discrétion exemplaire, confiant au silence et aux arbres – son amour des jardins était immense – son esprit dont il faisait des origamis des mots délicieux mais frappés. En décembre 1985, il répondait à un envoyé des Annales historiques compiégnoises sur son choix : « Je ne suis pas un descripteur, mais plutôt un ruminant. J’ai parlé de la forêt que j’aime beaucoup. Mais dans des termes poétiques et lapidaires, et non de description proprement dite. Je n’ai pas l’esprit du romancier, le goût du détail. J’ai plutôt l’esprit du moraliste et du philosophe. Il me faut des pensées pour soutenir ma vue. » En arrivant à Compiègne pour remplacer un jeune collègue mort en déportation, « J’avais eu, dit-il, comme un éblouissement à la vue du parc et des avenues. J’avais l’impression d’être en vacances. Ce sont les arbres qui m’ont retenu à Compiègne. »
« L’amour a couché beaucoup par écrit. » Le nouveau volume de maximes inédites, posthumes cette fois (Roger Judrin est mort en 2000 à 91 ans) porte un titre d’amateur d’étangs : Cercles d’onde. Il confirme que la maxime « signifie la plus grande chose, la pensée substantielle de quelqu’un. » D’ailleurs, ne pensait-il pas que « Certains auteurs sont presque grands de nous avoir caché leurs petits écrits » ?
Éric Dussert
Cercles d’onde
Roger Judrin
Préface de Claudie Judrin
Serge Safran éditeur, 240 pages, 21 €
Domaine français Ultimes squames
juin 2023 | Le Matricule des Anges n°244
| par
Éric Dussert
Rénovateur de la maxime, Roger Judrin fut un discret, amateur des jardins et des arbres, ces vecteurs de la sagesse.
Un livre
Ultimes squames
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°244
, juin 2023.