Le Théâtre, les nénuphars, les moulins à vent
Un Hamlet de moins / Institut Ophélie
En cette fin d’année 2023, les éditions Théâtrales enrichissent leur catalogue d’une nouvelle collection, « Méthodes » : « Pour rouvrir un espace éditorial progressivement délaissé sous le coup des logiques de production dominantes, celui de la fabrique des œuvres scéniques et de leurs pensées. » Et les trois premiers livres de ce nouvel espace illustrent tout à la fois le sérieux des études proposées et la diversité des approches artistiques et des points de vue.
Dans Toucher au nerf, Maguy Marin, la très grande chorégraphe française, répond aux questions d’Olivier Neveux. Des questions précises, insistantes parfois, qui vont au fond des choses : sur son parcours, ses créations, le chemin emprunté par chacune d’elles ; sur les polyrythmies mises en place ; sur l’influence de ses lectures, en particulier philosophiques ; sur son installation au Centre chorégraphique national de Rillieux-la-Pape et l’engagement social et politique que cela signifiait. Cette très riche conversation nous fait entrer de plain-pied dans les doutes et les tâtonnements qui accompagnent toute création et que Maguy Marin nous livre ici avec beaucoup de sincérité et un grand sens de la pédagogie et du partage. En y adjoignant quelques mises au point : « Ce qui m’insupporte, c’est ce que le monde de la danse a accepté de faire à la danse, en participant à un marché où les corps sont devenus les cibles pour toutes sortes de commerces : alimentation, luxe, perte de poids, santé, grands rassemblements populistes, jeunisme, force. (…) Mais la danse n’y est pour rien. La danse, c’est la fille qui danse au soleil dans la chanson de Brel Sur la place : le vent dans les arbres, les vagues, les corps qui luttent, les corps qui s’étreignent, les singes, les oiseaux, les amoureux… » C’est ensuite une rencontre avec Jean Jourdheuil, homme de théâtre, dramaturge, traducteur, défenseur acharné de Bertolt Brecht et de Heiner Müller, au travers d’une vingtaine de textes parus dans divers journaux ou prononcés à l’occasion de rencontres ou de colloques au cours des années 1985 à 2010. Dans ces textes surgit le regard incisif et sans complaisance que Jean Jourdheuil porte sur l’évolution du théâtre, sur ce qu’il appelle sa « festivalisation », sa transformation en un produit qu’il convient ensuite de vendre. C’est tonique et vivifiant, et cela réaffirme cette nécessité permanente et indispensable de questionner le réel, son devenir, ses dérives ou ses atermoiements. Et l’on s’attachera particulièrement au texte intitulé « Le théâtre, la culture, les festivals, l’Europe et l’euro » qui se propose de « penser l’histoire du théâtre contemporain » et se termine par ces mots : « Dans un théâtre, par exemple, la billetterie et la communication sont aujourd’hui devenues les formes majeures et pétrifiées du lien avec un public de clients qui circulent. (…) La grenouille a cuit dans l’eau tiède, elle est maintenant à point. »
Enfin, Nathalie Garraud et Olivier Saccomano, codirecteurs du Centre dramatique national de Montpellier, nous offrent une correspondance de créations échangée entre eux et avec leurs équipes à l’occasion des répétitions des spectacles dont les textes viennent compléter le propos, Un Hamlet de moins et Institut Ophélie. Et c’est une autre manière d’entrer dans l’intimité du processus de création, de comprendre comment tout cela prend du temps, comment une idée en appelant une autre, c’est en la partageant que naîtra peut-être celle qui finalement fera spectacle. D’autres livres suivront, d’autres parcours, d’autres expériences, et l’on ne peut que se réjouir de cette nouvelle proposition.
Patrick Gay-Bellile
Toucher au nerf,
Maguy Marin
Conversation avec Olivier Neveux
Éditions Théâtrales, 138 pages, 19 € ;
Le théâtre, les nénuphars, les moulins à vent,
Jean Jourdheuil
Éditions Théâtrales, 234 pages, 20 € ;
Un Hamlet de moins / Institut Ophélie
Nathalie Garraud et Olivier Saccomano
Éditions Théâtrales, 204 pages, 20 €
