Annie Le Brun, une autre qualité de l'air
C’est l’histoire d’une conscience poétique . Poétique ? Oui, il n’y a là aucune coquille. La seconde moitié du XXe siècle a célébré, à tort et à travers, de nombreuses personnalités et leurs écrits au titre de leur conscience politique. Elle, Annie Le Brun, résolut d’emblée, à la fin des années 1960, de ne pas s’inscrire dans ces usages, a priori passablement idéologisés et douteux. Elle tient que la sensibilité poétique englobe l’affaire politique : chacun à l’épreuve de soi-même et du monde, sans conditionnement aucun. Elle prit d’emblée le parti de la poésie, elle ne l’a pas lâché. Il fallait faire voir de quelle poésie quelques-uns avaient réussi à vivre jadis et naguère, de quelle poésie elle-même vivait, et par quelle volonté préméditée d’obstruction on empêchait aujourd’hui de vivre.
Cinq décennies plus tard, un volume intitulé L’Infini dans un contour (définition par Hugo de la beauté) rassemble ses principaux livres dans la collection « Bouquins ». Qui le lira chronologiquement – mais cet ordre-là n’est nullement obligatoire –, découvrira que ses 1200 pages et plus constituent une sorte d’autobiographie intellectuelle absolument unique en son genre, ancrée dans le « je », mettant à nu ses obsessions, ses questionnements, ses engouements et détestations. Bien que chaque œuvre marque en soi une station, le lecteur perçoit très vite que le voyage n’aura rien d’un déplacement linéaire, mais tout de la progression en spirale, un tour chaque fois plus profond, selon la même cohérence logique. Et ce n’est pas le moindre des charmes du volume que ces pages succinctes, placées entre deux livres, qui suture son mouvement de pensée : l’auteure expose dans quelle disposition d’esprit elle était à la fin du précédent livre avant se lancer dans le suivant.
Le volume débute par Ombre pour ombre, 200 pages constituées de ses poèmes écrits de 1967 à 1989 et 2002, vibrant d’érotisme, chahutés par une fantaisie moqueuse, enlevés par un lyrisme souvent élégiaque. Au tournant des années 1980, les thèmes en jeu dans sa poésie précipitent et donnent naissance à ses deux grands livres, épine dorsale de sa réflexion sur l’homme et son entrée dans la modernité : Les Châteaux de la subversion (1982), ou l’inversion des sensibilités au milieu du XVIIIe siècle, hantées par le néant, aussitôt suivi par son fameux Soudain un bloc d’abîme, Sade (1986), révélant « ce qu’on ne pardonnera jamais à Sade », à savoir son courage de donner forme à l’impensé : la « racine du désir humain » plonge dans la « fascination pour l’inhumain ». Perspective dépravée (1991), petite somme sur la catastrophe et la dévastation, clôt ce cycle qui abat toute prétention à l’optimisme au sujet de l’homme. Suit un vigoureux essai, retombée de l’énergie reçue de Sade – celle de s’en « prendre à l’inacceptable de l’acceptation » : Appel d’air (1988) est une défense et illustration de la poésie qui anticipe la grande salve, de portée longue, formée par trois livres majeurs : Du...