La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français Être gay en Russie

mars 2024 | Le Matricule des Anges n°251 | par Anne Kiesel

Écrit en français, Espèces dangereuses est l’évocation d’une parenthèse qui n’a pas duré : quelques années où l’on a cru que la liberté sexuelle était possible à Moscou.

Espèces dangereuses

Il ne faut pas se mentir : ça serre le cœur de lire ce roman bourré de sincérité, qui transpire l’expérience personnelle par tous les pores, entre chaque mot. Soit un jeune homme, en Russie. Sergueï Shikalov, né en 1986, raconte ses années 2000, pendant lesquelles les gays russes ont cru à une possibilité de liberté. Hélas… Le triste dictateur, qui a annexé la Crimée en 2014 et envahi l’Ukraine il y a deux ans, a tôt eu fait de poser un couvercle de fonte sur ces joies. Cette courte parenthèse, ces quelques années de relative tolérance, sont un aspect peu connu de la Russie d’il y a vingt ans, d’il y a mille ans, avant l’actuelle chape de plomb et l’assassinat de Navalny en février dernier. 
Sergueï Shikalov, exilé en France depuis 2016, commence son livre par un chapitre intitulé « On ». Un pronom indéfini, déconsidéré en français, mal vu par les puristes langagiers. Ce « on » se révèle un étonnant refuge syntaxique pour lui qui a quitté la langue russe et décidé de ne plus écrire qu’en français. « Pendant une dizaine d’années, on a existé. Et pas uniquement dans des appartements clandestins loués à l’heure, où la lumière ne s’allumait qu’épisodiquement. (…) On se mit à exister “pour de vrai” (…). Même à la maison, on pouvait exister, se resservir un coup de demi-sec de Crimée à l’anniversaire de quelqu’un et massacrer une chanson de Dalida au karaoké : Il venait d’avoir dix-huit ans/Il était beau comme un enfant/Fort comme un homme ».
Ce « on », qui ne figure pas dans la langue russe, lui permet d’évoquer « son passé dans une langue étrangère, une des meilleures façons de maîtriser le sentiment de honte (…). Découvrir son vrai visage et nommer ses douleurs via des constructions syntaxiques inconcevables pour ses parents. » Utilité surprenante d’un petit pronom tout con, qui l’autorise à en dire beaucoup plus qu’avec des « je » ou des « nous ».
Sergueï Shikalov raconte, ironique, les exorcismes d’un prêtre : « un quinquagénaire barbu, paupières lourdes et accoutrement doré » qui promet à l’adolescent dont les parents viennent de découvrir l’homosexualité (et de glisser au pope une enveloppe contenant 1500 roubles en liquide) de finir en agonisant « dans un immense pot-au-feu, entouré de serviteurs du diable, fourche dans le cul. » Plus tard, c’est la drague sur un tchat via rambler.ru depuis un café internet, plus discret que la salle informatique de la fac, et la recherche de monnaie pour prolonger la session de connexion. « Les pauvres avaient intérêt à être concis en amour. » Puis le prof, qu’il continue de voir après avoir obtenu son diplôme universitaire, pas précisément pour des raisons académiques… 
Il y a des moments de lumière, dérisoires vus d’ici, mais qui ont, un temps, marqué une évolution là-bas. « On achetait tout chez Ikea. On était persuadés que (…) les bocaux de rollmops allaient faire de nous des êtres plus européens, ou plutôt moins soviétiques. Cri de stupeur et de joie en découvrant le catalogue de Noël avec un couple d’homos sur la couverture. Deux beaux garçons rayonnant de bonheur assis côte à côte devant une maison recouverte d’ampoules électriques : NOUS SOMMES UNE FAMILLE NOUS AUSSI en grosses lettres rouges. » Les homophobes russes s’étranglent d’indignation, puis finissent quand même par revenir dans ces magasins diaboliques, acheter une lampe ou des rollmops.
La Russie comme on ne vous l’avait jamais racontée auparavant, par un universitaire qui enseigna la traduction et l’interprétation à l’université linguistique d’État de Moscou et travailla à l’internationalisation des programmes à l’université nationale de science et de technologies MISIS. Depuis 2016, il est à Paris Saclay. Un parcours académique comme il faut de quelqu’un qui vit comme il veut.

Anne Kiesel

Espèces dangereuses
Sergueï Shikalov
Le Seuil, 224 pages, 19

Être gay en Russie Par Anne Kiesel
Le Matricule des Anges n°251 , mars 2024.
LMDA papier n°251
6,90 
LMDA PDF n°251
4,00