Depuis au moins les Grecs de l’Antiquité, sinon les compilateurs de tablettes cunéiformes mésopotamiennes, poètes, scientifiques et philosophes sont fascinés par les bêtes. Ainsi, par-delà les millénaires, le Mexicain Andrès Cota Hiriart est-il un successeur d’Aristote qui écrivit une Histoire des animaux en distinguant ceux qui ont du sang et ceux qui n’en ont pas. Notre écrivain et naturaliste choisit lui d’examiner les plus extraordinaires pour stupéfier son lecteur : babiroussa, basilic, charale, dragon de Komodo, tarsier, autant de bestioles pour le moins étranges.
En un prélude autobiographique, l’auteur, qui vit dans l’immense métropole de Mexico, raconte comment il fut saisi par le virus de la collection. Mais uniquement d’être vivants, tortue, mille-pattes, jusqu’à « Perro, le boa constrictor de trente kilos et de quatre mètres de long, avec qui j’ai partagé ma chambre pendant dix ans ». Ensuite ce furent les axolotls, capables de se métamorphoser en salamandre, qui retiennent cet enfant, lui-même en passe de se métamorphoser en biologiste scandalisé : « la créature la plus emblématique de nos zones humides était au bord de l’extinction à cause de désastres successifs ». L’on devine qu’il n’allait pas s’arrêter là, qu’il lui faudrait de plus grands espaces.
En effet, c’est à Bornéo que coexistent les orangs-outans – jusqu’à quand ? – et les « déforestations les plus intenses jamais enregistrées », soit une cause peut-être perdue. Une telle « lune de miel », là-bas, avec sa jeune épouse est en quelque sorte une urgence. Entretemps, ses poches de pantalon cachent dans l’avion venu du Texas de petits « boas arc-en-ciel » et des bébés de « caméléons à quatre cornes », en une contrebande qui ne laisse pas de l’inquiéter aux contrôles de l’aéroport. Il assume d’être une sorte de « toxicomane », un « accro aux écailles ». Voire d’aimer la férocité des crocodiles. Bientôt, révulsé par ses terrariums, il prend sa décision : « je n’ai jamais plus eu d’animaux enfermés ». Élargissant les découvertes, l’on saura comment survivre « face à une attaque d’anaconda dans la jungle », comment affronter aux îles Galapagos une otarie mâle, « un pinnipède aux dents pointues et violent sultan de son harem en pleine saison des amours ». Quant aux tarsiers des Célèbes, ce sont des primates carnivores aux oreilles proéminentes dont le dialogue est « fourni de cris métalliques presque ultrasoniques (…) de vocalises ».
D’intenses accents lyriques parcourent le texte, comme lorsque vibre l’éloge paradoxal du scorpion empereur : « de la biomécanique dans toute sa splendeur (…) Protagonistes durables de bestiaires médiévaux, d’images poétiques et de passages narratifs en rapport avec le malheur ». Connaissant bien le naturaliste en herbe, sa petite amie lui offre dans une boîte à chaussures ce scorpion : « Cupidon sous la forme d’un arachnide ». L’attention est pour le moins délicate, sinon ambiguë. Le voyage planétaire à la recherche de ceux avec qui nous cohabitons sans guère de respect, quoique parfois violemment sauvages, est également un voyage à l’intérieur de la personnalité singulière, attachante d’Andrès Cota Hiriart.
La conclusion est un plaidoyer en faveur de la biodiversité, de l’écologisme global militant que le lecteur appréciera dans sa sincérité, dans sa nécessité, par exemple contre « l’invasion du plastique ». Dans la tradition des grands naturalistes, de Buffon à Darwin, Andrès Cota Hiriart est bien digne de figurer parmi la collection « Biophilia », dont le titre vient du livre de Edward O. Wilson, Biophilie, et déjà fameuse aux éditions Corti, à la couverture verte comme de juste.
Thierry Guinhut
Rencontre avec des animaux extraordinaires
Andrès Cota Hiriart
Traduit de l’espagnol (Mexique) par Bertrand Fillaudeau
Corti, 328 p., 22 €
Domaine étranger L’homme qui a entendu le tarsier
mars 2024 | Le Matricule des Anges n°251
| par
Thierry Guinhut
Entre souvenirs et observations, les tribulations d’un naturaliste mexicain au gré de Rencontres avec des animaux extraordinaires.
Un livre
L’homme qui a entendu le tarsier
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°251
, mars 2024.