La rédaction Gilles Magniont
Articles
Le vilain rêve
De l’utilité de lire Le Grand Sommeil dans la retraduction de Benoît Tadié, qui rend au premier roman de Chandler sa singularité triste et toujours frémissante.
Évidemment, on se souvient de l’adaptation d’Howard Hawks : clair-obscur au cordeau, récit au galop, érotisme incisif des dialogues Bogart/Bacall. Sauf que leur couple ne s’est jamais formé chez Raymond Chandler (où le détective Philip Marlowe repoussait toute manipulation des dames) ; que l’histoire y était beaucoup plus composite (Chandler ayant fondu l’intrigue de deux nouvelles antérieures, et se fichant assez d’une vraisemblance que le style seul se chargeait d’assurer) ; que la couleur d’ensemble du roman tirait, plutôt que vers le noir et blanc classieux consacré par la tradition,...
Faux témoignage
À dix-huit ans, Tobias Wolff devient soldat. Un temps, il part au Viêt-nam, puis refuse de rempiler. Rendu à la vie civile, il rencontre une femme, l’emmène dans un bar, entreprend alors de narrer un épisode du conflit. Ce qu’il regrette aussitôt, car comment « raconter une histoire aussi épouvantable ? Peut-être une telle histoire ne devrait-elle jamais être racontée. Pourtant, elle le sera....
Un bon deal
Dans un monde qui part à vau-l’eau, comment demeurer entier et intègre ? Que faire lorsque l’abandon des principes se généralise ? Aux questions qui fondent le polar traditionnel, Johnny Deal dans la tourmente répond de manière tout autant traditionnelle. C’est donc une œuvre mineure, vraisemblablement destinée à s’inscrire dans une série (voir le précédent épisode sobrement intitulé Johnny...
Des coeurs découpès
Apparemment, Brigitte Smadja n’a cure des modes romanesques. Relatant les angoisses de Parisiens trentenaires, elle se garde de scruter leur sexe au microscope, comme de tirer le tableau de groupe vers la généralisation socio-historique. À l’image de son titre, Des cœurs découpés dégage d’ailleurs un parfum un peu fade et suranné. Judith y affronte le mystère de sa naissance, et son histoire...
Pas si commune que ça
Perce-rêve s’abstenir : Olivia Rosenthal égare son lecteur dans d’étranges récits. Agaçants et séduisants. À lire jusqu’à l’apoplexie.
Entre deux parenthèses, hommage est rendu aux lecteurs, « ceux qui lisent comme j’écris, sans reprendre souffle et presque jusqu’à l’apoplexie ». C’est vrai qu’ils devront s’armer de ténacité pour venir à bout d’une œuvre tissée de toile tortueuse : phrases à incises, à reprises, à rallonges, sortes d’escaliers biscornus qu’on ne monte pas toujours avec le même entrain. Les verbes y sont...
À la pointe – chronique
Conjugaison, piège à cons
Je serais un infinitif, je me la péterais ! », lâche Elodie. C’est que notre jeune libraire de Cotignac dépose Fabriquer une femme sur les rayonnages du Var Lisant ; où ce roman vient rejoindre d’autres livres de Marie Darrieussecq, comme Pas dormir ; non loin de Vivre sans, que vient de sortir Mazarine Pingeot, quelques années après Se taire. Note à l’attention des futurs historiens : à l’orée du troisième millénaire, la littérature française fit défiler les process sur ses couvertures, certains qu’on se représente sans trop de mal – du genre Courir, Avancer, Choir, voire Faire l’amour...
Freestyle
Matin du 26 décembre, pluie battante, sur le parking de Monsieur Meuble (le magasin). Mal redescendu de son réveillon, Patrick tente de vendre une nouvelle idée graphique au rédac chef (« La pratique sexuelle rigolote du mois : on commencerait par la sodomimolette »), lequel ne prend pas même la peine de répondre (du coup, Patrick menace de se consacrer toujours au même écrivain), absorbé...
Cher collègue
Chaque rentrée c’est pareil. Et que six mois de vacances ça m’a pas suffi. Et que je suis mal payé. Allons donc, le plus beau métier du monde ! Et tout le monde se met en quatre pour te faciliter la tâche. Par exemple la rédaction de France Info qui, ce 4 septembre, encense Western de Maria Pourchet, « fabuleux roman d’amour à l’ère post #MeToo ». Et alors ? Et alors si tu tenais tes fiches à...
Médiatocs – chronique
Génération écran plat
Mazarine Pingeot, fille de et future mère, met sa vie en forme.Puis vend sa télé.
Je reste enfermée dans la maison. Ma chienne préfère le sommeil, je ne la comprends pas » : trois propositions, quelques mots très simples, Mazarine effleure le mystère du règne animal. Puis, dans la même page, elle évoque le chat, le cheval, ou encore la grenouille. Mais comme cette dernière rappelle Kermitterand, la future mère a ce cri déchirant : « Peut-être vendrons-nous la télé quand tu arriveras. »
Certains diront qu’il est bien des gens qui se débarrassent de leur télé, mais peu qui la vendent (sauf nécessité extrême), et que Mazarine n’est donc pas très généreuse, un peu petite...
Avec la langue – chronique
Un peu plus près des étoiles
Avec vingt ans d’avance, la troupe Gold avait trouvé la formule de l’art contemporain.
La trentaine détendue fait danser ses enfants au rythme des djembés, les chapelles ruissellent de mises en voix, Mathilde Monnier reprend du rosé : voici venue la saison du spectacle vivant. Mais les joies du live recouvrent le verso non moins solaire des festivals : le Programme, prose dédaignée comme la servante qui n’aurait d’autre rôle que de nous mener à sa maîtresse, la représentation. Or c’est dès les rives du rédactionnel que le désir d’art peut être comblé, en témoignent les deux cents grammes d’Avignon 2008, œuvre en soi dès son premier paragraphe. Valérie Dréville « ne veut pas...
Le patois c’est moi
L’époque a trouvé son mot d’ordre : sous les biloutes, la France !.
Puisque cette œuvre ne montre presque rien du Nord/Pas-de-Calais (sinon quelques briques, deux trois toiles cirées, un bout de littoral), puisqu’en masse les spectateurs en reviennent pourtant remplis comme d’une savoureuse démonstration, rendons-nous à l’évidence du Verbe : c’est la part de dialogue qui fait à elle seule toute la valeur anthropologique de Bienvenue chez les Ch’tis, dont...
Cela pourrait choquer
Quelques nuages de censure, au ciel menaçant des bienséances.
Au début du XXIe siècle : La Nouvelle Star, majesté terrible du jury, et que dire de la salle (prononcer à l’araméenne : pavillon Baal-TÂR), quand c’est au tour du dénommé Ycare, éventuellement de sang cimmérien, de faire ses preuves sur Le Chanteur de Daniel Balavoine. Lio et son tribunal diront parfait, il faut le garder, mais ne souffleront mot d’un alexandrin altéré. Balavoine en son...
Courrier du lecteur – chronique
L'homme qui aimait les livres
Coups d’œil sur « Le Dictionnaire Truffaut », où les romans se font devant et derrière la caméra.
« J’espère que vous garderez longtemps cette gravité du regard et cette façon simple et un peu malheureuse de vous exprimer », écrivait joliment Genet au jeune Truffaut. À parcourir le Dictionnaire, on ne s’éloigne jamais longtemps de la chose littéraire. D’abord, parce que les films sont ici le plus souvent des adaptations, au gré des lectures éclectiques de l’autodidacte : David Goodis pour Tirez sur le pianiste, William Irish pour La Mariée était en noir, Henry James pour La Chambre...
Espèce de Hongrois !
« Tout est pur à ceux qui sont purs » (Saint Paul) : promenade guidée au doux pays de l’Injure.
Bougnoule/ Niakoué/ Raton/ Youpin/ Chinetoque/ Putain/ Maquereau/ Macaque/ Chien » pour ceux que n’aurait pas rassasiés cet Hymne à l’amour de Jacques Dutronc, les éditions 10/18 rééditent les travaux de Robert Edouard, publiés une première fois en 1966. Voilà un tombereau qui en impose, avec plus de huit cents pages découpés en deux volumes, le Dictionnaire des injures venant accompagné de...
Quelques déflagrations
Bang ! dévoile et commente toutes sortes d’images. Il y a les images des bandes dessinées, bien sûr, avec notamment l’interview d’Alan Moore, scénariste britannique assez génial qui donne de très politiques contours aux superhéros de papier (on lui doit entre autres les Watchmen et V pour Vendetta) ; mais aussi les images qui cherchent à échapper au livre et recherchent pour ce de nouveaux...