À dix-huit ans, Tobias Wolff devient soldat. Un temps, il part au Viêt-nam, puis refuse de rempiler. Rendu à la vie civile, il rencontre une femme, l’emmène dans un bar, entreprend alors de narrer un épisode du conflit. Ce qu’il regrette aussitôt, car comment « raconter une histoire aussi épouvantable ? Peut-être une telle histoire ne devrait-elle jamais être racontée. Pourtant, elle le sera. Mais, dès l’instant où vous ouvrez la bouche, vous avez des problèmes, des problèmes de mémoire, des problèmes de tonalité, des problèmes d’éthique ». Réticences qui sont au cœur de Dans l’armée de Pharaon. Bien loin des épais romans d’initiation mêlant jungle hostile et fourbes Viêt-congs, on est ici en terrain « minimaliste ». Wolff (dont le nom est souvent associé à celui de Carver) ménage silences et retenue, n’affecte pas de sens à ce qui n’en a pas. Juste quelques anecdotes dont il faut percer la valeur, simples parcelles d’un réel entrevu (un chien qui finit en ragoût, une école qu’on bombarde) pour suggérer l’affrontement des cultures ou la culpabilité des vivants.
Dans quelle case ranger alors le livre ? En dépit du sous-titre Souvenirs d’une guerre perdue, il s’inscrit difficilement dans le genre du témoignage de guerre, dont il ne possède pas la linéarité coutumière. Premières amours, histoires de famille, essais d’écriture : certains chapitres pourraient s’intituler « Comment je suis devenu écrivain » ou « Comment j’ai renoué avec mon père ». Autant dire que l’auteur essaye d’appréhender ce qui valut la peine de survivre au Viêt-nam.
Il s’agirait en fin de compte, et l’expression est jolie, de « persister ». Persister, construire une existence, se souvenir de ceux qui n’ont pu faire de même, parler d’eux sans trop trahir leur image lointaine. Affronter les problèmes.
Dans l’armée de Pharaon
Tobias Wolff
Traduit de l’américain
par Rémy Lambrechts
10/18
192 pages, 38 FF
Poches Faux témoignage
octobre 1999 | Le Matricule des Anges n°28
| par
Gilles Magniont
Un livre
Faux témoignage
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°28
, octobre 1999.