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Le curé et son double
Lmda N°252 En donnant une suite à son prodigieux Rabalaïre, Alain Guiraudie confirme qu’il n’est pas seulement un cinéaste qui écrit, mais un romancier hors pair. Impossible d’aborder ce troisième roman d’Alain Guiraudie sans parler du deuxième, puisque Pour les siècles des siècles en est le prolongement direct, au point que le volume s’ouvre sur un résumé des épisodes précédents. Or, des épisodes, dans Rabalaïre, paru en 2021, un tour de force narratif s’étendant sur plus de mille pages, il y en avait, et pas qu’un peu. Roman de péripéties qui nous...
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Domaine étranger Au fin fond des bois Là où la terre se fond dans les eaux, écoutons la voix des Filles du chasseur d’ours s’élever, hurler, maudire, dans un roman sauvage. On y rencontre une forêt, l’ombre de l’ours, une chaumière abandonnée, sept filles à l’allure et au parfum d’ogresse, des trésors enterrés, une ville sous la neige, une narratrice comme une bonne fée. Et pourtant, Les Filles du chasseur d’ours n’a du conte que l’apparence, et tient les fées, bonnes ou mauvaises, très à distance. Ne serait-ce que par cette odeur qui se dégage de la troupe agitée des filles sauvageonnes et qui envahit chaque...
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Domaine français Comme une respiration d'orage Emprisonnant présent et passé dans une relation ténébreuse, Velibor Colic écrit pour débusquer les multiples visages d’une guerre qui l’obsède. Ni tout à fait autobiographie ni tout à fait roman, Guerre et pluie relève de la littérature-vie. C’est un de ces livres qui découlent de chocs reçus et d’états d’exception qui se sont noués en noyaux d’écriture, et sont devenus la source d’un légendaire intime et infini. Un « à dire » que Velibor Colić définit en disant qu’il est du roman « vécu et imaginé dans l’impossible espace entre : je ne mens pas et je me souviens ». Enchaînement de...
Chronique
En grande surface
En grande surface
par Pierre Mondot
Verre paradis
La libraire du bourg a reçu un exemplaire de l’ouvrage en exclusivité, début août. Elle l’a aimé et consent à le prêter à condition que ce partage demeure confidentiel. Pas un mot sur le livre avant sa sortie officielle : si cette faveur venait aux oreilles de l’éditeur, elle en prendrait pour son matricule (clin d’œil appuyé). Juré. On lira Panorama, le dernier roman de Lilia Hassaine en loucedé. Et craché, on n’en parlera à personne.
Jusqu’à l’an passé, la jeune femme animait une chronique dans l’émission Quotidien sur la chaîne TMC. Sa mission consistait à « décrypter » l’actualité et...
Le Matricule des Anges n°246
un auteur
Martin Rueff
Chronique
Traduction
Traduction
Arnaud Bikard *
Le Chevalier Paris et la Princesse Vienne d’Élia Lévita
Rien ne me destinait a priori à traduire un roman de chevalerie, et sans doute encore moins un roman de chevalerie yiddish. Arthur, Charlemagne, le merveilleux, les inimitiés et alliances des familles seigneuriales n’ont pas exercé de charme particulier sur mon enfance. On a bien dû me dire, avant l’âge adulte, que mes grands-parents maternels connaissaient le yiddish (bien que, ne les ayant jamais entendus parler que le français, il m’est arrivé d’en douter) mais cette langue, associée dans mon imaginaire au judaïsme orthodoxe, à la grisaille polonaise, aux disparus de la Seconde Guerre...
Le Matricule des Anges n°248
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Domaine étranger Invitation au Banquet Le Brésilien Bernardo Carvalho questionne notre rapport au monde d’avant et après-Covid. Un pied de nez métaphysique et malicieux. Enfanter aujourd’hui tient du défi, du pari hasardeux sur un avenir nébuleux. N’en déplaise à ce président aussi impérieux qu’impétueux, dont les formules martiales intiment à un réarmement reproductif. La fragilité climatique et environnementale de la planète, les guerres, l’avènement des extrêmes droites et de matamores illibéraux n’augurent rien de bon. Mais qu’en fut-il en période de Covid ? Au Brésil, le virus fit près de 700 000...
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Poésie Au seuil des images Lyrique et habitée, la poésie du Cubain José Triana est une chambre aux échos ciselés qui convoque l’enfance et l’étonnement des sensations dans cette remarquable anthologie. Définir un auteur revient à trancher dans le vif de sa parole », dit dans sa préface la traductrice Alexandra Carrasco, également responsable du choix des poèmes rassemblés dans cette anthologie bilingue – survolant avec générosité une quinzaine de recueils – du Cubain José Triana (1931-2018), qui fut également un dramaturge renommé et souffrit, comme tant d’autres, les aléas politiques de son île natale. D’abord exilé en Espagne pour fuir...
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Histoire littéraire Tours, rites et dingueries Le Britannique Mervyn Peake a signé avec la Trilogie de Gormenghast l’un des classiques majeurs de la littérature d’imagination du siècle dernier. À l’heure de saluer l’écrivain Patrick Reumaux qui a disparu le 17 janvier dernier, la reparution de sa traduction du chef-d’œuvre inclassable de Mervyn Peake (1911-1968), la Trilogie de Gormenghast, semble l’hommage le plus retentissant que le monde culturel français soit capable de lui rendre. Si la presse est silencieuse à propos de la mort du traducteur, il se peut que le Titus d’Enfer de Peake recueille les suffrages de jeunes critiques...
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Théâtre Un opéra tout neuf L’œuvre culte de Bertolt Brecht, nouvellement traduite, bénéficie d’un remarquable travail éditorial. L’Arche, la maison d’édition qui veille historiquement sur les œuvres de Bertolt Brecht, poursuit avec constance et intelligence son travail autour des textes du grand dramaturge allemand. Après avoir publié en romans graphiques Histoires de monsieur Keuner et La Résistible Ascension d’Arturo Ui, elle entreprend cette fois de nous faire redécouvrir son œuvre la plus célèbre, L’opéra de quat’sous à travers une très belle édition critique. En...
Intemporels
par Didier Garcia
Fyveer, Hazel, Bigwig et les autres
Avec Watership Down, le romancier britannique Richard Adams (1920-2016) nous entraîne dans une émouvante odyssée animale.
Un roman s’étirant sur plus de 500 pages, planté dans un décor champêtre, dont les protagonistes sont des lapins, et pas du tout réservé à la jeunesse ? De prime abord, le projet semble relever de la gageure. Pour ne tromper personne, on précisera qu’il s’agit de lapins d’un genre particulier, dotés de la parole, exactement comme chez La Fontaine (mais l’anthropomorphisme dont use le moraliste le temps d’une fable est à l’œuvre ici durant tout le roman). S’ils s’expriment à peu près comme nous, ils n’en utilisent pas moins un lexique adapté à leur condition de lapins, comme le verbe...
Le Matricule des Anges n°249