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Traduction Arnaud Bikard *

novembre 2023 | Le Matricule des Anges n°248

Le Chevalier Paris et la Princesse Vienne d’Élia Lévita

Le Chevalier Paris et la Princesse Vienne

Rien ne me destinait a priori à traduire un roman de chevalerie, et sans doute encore moins un roman de chevalerie yiddish. Arthur, Charlemagne, le merveilleux, les inimitiés et alliances des familles seigneuriales n’ont pas exercé de charme particulier sur mon enfance. On a bien dû me dire, avant l’âge adulte, que mes grands-parents maternels connaissaient le yiddish (bien que, ne les ayant jamais entendus parler que le français, il m’est arrivé d’en douter) mais cette langue, associée dans mon imaginaire au judaïsme orthodoxe, à la grisaille polonaise, aux disparus de la Seconde Guerre mondiale, était décidément trop triste pour m’attirer.
J’ai croisé pour la première fois le nom d’Élia Lévita dans l’histoire générale de la littérature yiddish par Sol Liptzin, au milieu de la vingtaine. Une curiosité, d’abord purement intellectuelle, m’avait reconduit vers cet héritage et j’avais rapidement oublié mes préconceptions et mes préventions. Je découvrais en effet une culture séculière, riche et innovante dont mes années d’études de littérature en Sorbonne ne m’avaient pas laissé soupçonner l’existence. Surtout, je découvrais que cette culture plongeait ses racines dans le Moyen Âge et qu’elle avait connu une période brillante à la Renaissance en Italie.
Voici donc le yiddish transporté très loin de la Pologne et de ses ghettos. Élia Lévita avait vécu à Venise, à Rome près de la cour du Pape Léon X, collaboré avec l’élite humaniste et les cabalistes chrétiens, écrit des traités grammaticaux sur l’hébreu et l’araméen, des poèmes satiriques et des romans de chevalerie en yiddish ancien. J’avais très envie de lire ces textes et ma connaissance de l’allemand et de l’hébreu me laissait l’espoir d’y parvenir en un temps raisonnable.
J’arrivais aussi au bon moment. Le plus beau des romans de chevalerie de l’auteur, Pariz un Viene, n’avait été redécouvert dans son entièreté que vingt ans auparavant, en 1986, et les deux meilleurs spécialistes du yiddish ancien, Erika Timm en Allemagne et Chone Shmeruk en Israël, s’étaient tous deux jetés sur cette trouvaille pour en proposer, en 1996, des éditions critiques, la première en caractères latins, la seconde dans les caractères hébraïques originaux. Aidé par leurs notes savantes, je déchiffrais donc ces vers en même temps que j’en apprenais la langue.
La tâche était ardue mais j’en ai vite été récompensé. Les 717 huitains de ce roman, écrit dans la forme maîtresse du roman de chevalerie italien, l’ottava rima, me révélaient un poète subtil, étonnant, capable de traiter le récit des aventures de ses héros tantôt avec lyrisme tantôt avec désinvolture et humour. Moi qui avais une image quelque peu hiératique, ou ésotérique, du roman de chevalerie, je découvrais un poète malicieux, qui se plaît à masquer son identité et à jouer avec ses personnages comme un grand marionnettiste.
Se présentant d’abord comme un amoureux transi, car l’écriture ne peut guère se concevoir sans l’amour au pays du dolce stil novo, il se lance bientôt, par la bouche de l’un de ses personnages, dans une satire cinglante des méthodes de séduction féminine dévoilant au passage une science peu ordinaire de la confection des cosmétiques. Chantant la prouesse de son héros, le brave chevalier Paris, il prend d’abord excuse de l’obscurité nocturne puis de la sensibilité des dames pour ne pas décrire les combats et les joutes dont il sort vainqueur. C’est avec la même liberté que ce poète traite les différences religieuses. Si l’univers du récit est immanquablement chrétien puisque le meilleur ami et confident des amants est évêque, cela n’empêche pas les mariages d’avoir lieu sous le dais nuptial avec des anneaux portant l’inscription en hébreu : « Mazel tov ».
Pour comprendre une écriture si originale, j’ai su qu’il me fallait explorer l’univers intellectuel et esthétique dans lequel Élia Lévita était venu s’inscrire. Ce fut l’objet de mon doctorat. Des décennies avant le Don Quichotte, je découvrais donc que le roman de chevalerie avait connu en Italie une période d’intense créativité poétique, de révision ironique et ludique, dont le plus brillant représentant avait été l’Arioste. L’admiration du poète yiddish pour ce grand modèle italien a été si forte qu’il a inséré dans son œuvre, sans signaler cette intertextualité, trois strophes traduites du Roland Furieux, métissant ainsi sa source première (un roman populaire italien en prose) avec l’œuvre considérée alors comme le sommet de la littérature italienne.
C’est peut-être aussi à l’esprit du temps et du lieu qu’il faut attribuer l’ambition avec laquelle Élia Lévita traite sa langue maternelle, ce yiddish qu’il a emmené en Italie, comme des milliers d’autres juifs ashkénazes, depuis sa Bavière natale. Comme l’inventeur de la poésie macaronique, Teofilo Folengo, il considère son dialecte comme capable d’assumer le plus haut degré d’élaboration poétique en jouant sur les traditions écrites existant déjà en yiddish. Venant d’une métrique où seul le nombre d’accent par vers compte (mètre tonique) et s’insérant dans une tradition italienne où c’est le nombre de syllabes qui prime (mètre syllabique), il est l’un des tout premiers poètes européens à utiliser l’iambe de façon régulière.
Mon admiration pour ce roman d’amour et d’aventures qui m’a, dès que j’ai été capable de le lire de façon fluide, amusé et passionné a naturellement débouché sur la volonté de le traduire en français afin de partager ce plaisir esthétique. Je savais que je ne pouvais pas le faire en prose sous peine de masquer l’ambition qui avait présidé à sa composition, sous peine aussi de ruiner le rythme de lecture que la strophe impose. Je voulais montrer que la littérature yiddish, malgré l’image reçue d’une littérature populaire et marginale, avait connu à la Renaissance une forme de période classique : mon choix s’est donc porté sur l’alexandrin dont la souplesse et le souffle permettaient de répondre aux nuances innombrables de ce récit chevaleresque.

* Le Chevalier Paris et la Princesse Vienne vient de paraître aux éditions de l’Antilope.

Arnaud Bikard *
Le Matricule des Anges n°248 , novembre 2023.
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