Dans la poésie de Pierre Dhainaut, il y a un émerveillement et une inquiétude, mais surtout un souffle qui lui permet d’emboîter ces deux mouvements. Ainsi, l’émerveillement est inquiet, l’inquiétude est émerveillée, l’un et l’autre s’épaulent, résonnent, nous rapprochent d’un murmure, de mots plus justes, plus généreux, d’une fragilité qui est toute notre force lorsqu’elle est consentie.
Avec Fragments et louanges, en quelques pages d’une belle clarté, le poète regarde sa petite fille, et à travers elle, peut-être, le passage ? L’enfance ? L’éphémère du seuil ? Le poème ?
Nous avons profité d’une journée grise et ruisselante pour nous rendre chez lui, à Dunkerque.
Pierre Dhainaut, si l’on vous demandait de vous présenter, que diriez-vous ?
Je ne sais pas si je dirais que je suis poète. Plutôt quelqu’un qui s’interroge, quelqu’un qui essaie de s’ouvrir, d’accueillir également. Et qui pour cela n’a rien trouvé de mieux que d’écrire des textes que l’on appelle poèmes.
Vous semblez être un homme pudique, on sait peu de choses de votre enfance. Quelle importance accordez-vous au secret, à la pudeur, dans l’écriture poétique ?
La pudeur me semble une vertu essentielle, aussi bien dans la vie de tous les jours que dans l’écriture. Ne pas contraindre, être à l’écoute, je me comporte avec les mots comme avec les autres. En disant « je » pour vous répondre je suis gêné, dans la mesure où j’ai banni la première personne de mes poèmes, ou plutôt, j’ai peu à peu compris grâce aux poèmes que le moi est une fiction aussi arbitraire que les constructions intellectuelles par lesquelles on voudrait expliquer ou dominer, aussi mensongères que celles de la langue qui se recréent spontanément dès que l’on parle, qui sans cesse s’interposent. Nous sommes tellement opaques : je crois que l’écriture poétique nous oblige à devenir transparents.
A quelle défaillance la poésie a-t-elle répondu ?
J’étais un enfant seul, parlant peu, et il fallait que cette solitude soit comblée, qu’une dimension s’ouvre à cette vie trop étriquée, le langage m’a donné cette ouverture. Certes on se retrouve avec son papier, son crayon, dans cette pièce ici, mais on creuse cette solitude, et c’est un dépassement, un mouvement vers les autres.
Mais il n’y a pas de personnages dans vos poèmes…
Et c’est tant mieux.
Mais alors comment allez-vous vers l’autre ?
Justement, il n’y a pas de personnage, il n’y a pas de fiction, je n’écris pas de roman. Mais il y a un certain nombre de personnes qui sont réelles, que j’évoque, que je tente de mieux comprendre, d’accompagner, avec lesquelles j’essaie de m’entendre davantage grâce à la parole. C’est une femme, un homme, un ami, ma petite-fille, ou même un anonyme. Il y a des poèmes qui sont des récits de rencontres, ce que j’appelle des récits d’approche.
Ce n’est pas sous la forme de dialogues ?
Si, il y a un jeu de questions et de réponses. La forme dramatique s’est imposée justement il y a une dizaine d’années, le refus du moi appelant le dialogue. Je ne me sens pas seul quand j’écris : tantôt quelqu’un me parle en me tutoyant, qui peut être mon double, qui peut être une femme, et que bien sûr il m’est impossible de nommer, tantôt plus rarement j’interpelle, et dans le livre Le Vacillement prodigue, je m’adresse à celle à qui le don est dédié, et à travers elle, au lecteur. En ce sens la présentation d’Un Livre d’air et de mémoire était plus évidente, je distinguais les répliques : ici, le jeu des pronoms s’inscrit dans un même mouvement à la fois continu et discontinu, si bien que les voix s’échangent, les identités vacillent, et parfois, un instant, intervient le nous de l’accord.
C’est une description, une danse autour de la personne ?
Je ne veux ni décrire une personne, ni même un paysage, j’aurais l’impression de les dominer, de les posséder. Une des vertus de l’écriture c’est de briser cet instinct si puissant qui est celui de la possession.
Comment imaginer que le chant du poète puisse se faire entendre dans cette fragilité ?
De même que je ne voudrais pas qu’il y ait possession de l’autre, je ne voudrais pas non plus que la parole soit parfaite, close sur elle-même en sa propre beauté.
La perfection m’effraie dans ce sens là. Je préfère quelque chose qui hésite, qui se cherche sans fin, et retrouver un tremblé de l’écriture. L’équivalent en peinture serait le dessin de Giacometti. Le chant vient non pas de la maîtrise mais de ce qui est humble.
Une éthique ?
Oui, une morale de l’écriture, devant ce que l’on doit dire, devrait dire, ce qu’on ne parvient pas à dire, devant la chose à écrire, devant les autres, ou même un paysage, une grande humilité sinon comment accueillir ?
Mais la poésie n’est-elle pas une mise à distance de la catastrophe, de la souffrance des autres ?
Elle ne met pas à distance, elle me rendrait plutôt vulnérable, de plus en plus. Ce monde tel que la politique le gangrène, le poème a mieux à faire qu’à le décrire ou le condamner : il se situe ailleurs, et c’est pourquoi il est subversif, ou du moins irrécupérable par ceux qui n’ont pour but que la puissance. En retrouvant les mots de la mémoire commune, il nous éprouve dans notre nudité tremblante, il partage la douleur comme l’amour.
En disant cela ne placez-vous pas le poème dans le religieux ?
Il ne se recommande d’aucune foi, d’aucune religion. La prière est d’autant plus grande qu’elle ne se tourne vers aucun dieu - c’est ce que dit Rilke également - mais plutôt vers le sacré. Il ne peut pas y avoir de poésie s’il y a un savoir qui la précède. Le sacré est ici-bas, parmi les nôtres,dans les joies et les souffrances, dès lors que nous nous interrogeons sur le sens de ce que nous vivons ensemble.
Est-ce le sens d’une ascèse ?
C’est un mot qu’il ne faudrait pas employer parce qu’il est lié à trop de pratiques mystiques.
Une épure ?
Non plus, l’idée de pureté introduit d’autres erreurs.
Une connivence ?
Non, c’est seulement le moyen d’y parvenir. Il faudrait peut-être trouver un mot moins chargé. Par exemple…
…
Et puis peut-être tant mieux si l’on ne trouve pas le mot.
Fragments et louanges
Pierre Dhainaut
Arfuyen (35 rue le Marois. Paris)
60 pages, 60 FF
Poésie Pierre Dhainaut
octobre 1993 | Le Matricule des Anges n°5
| par
Dominique Sampiero
Jacques Izoard écrit à son sujet : « oeuvre aux oiseaux et aux mers immenses, aux puits de paroles sans fond, aux lents tourbillons d’un sable qui ne s’écoule d’aucun sablier ». Rencontre avec Pierre Dhainaut.
Un livre
Pierre Dhainaut
Par
Dominique Sampiero
Le Matricule des Anges n°5
, octobre 1993.