C’est ce qu’on appelle un hasard du calendrier. Rendez-vous était pris au Seuil le jour de la remise des prix Goncourt et Renaudot. Le premier venait d’être décerné à un roman que Françoise Dorin doit adorer, le second aux éditions de L’Olivier dont le responsable est le directeur littéraire du Seuil. Il était peut-être prudent, pour parler littérature, de se mettre à l’écart : l’entretien eut donc lieu dans un sous-sol. Pascal Quignard, souriant, détendu, fut soumis à la question quatre heures durant. Soucieux de répondre au plus juste, il se méfiait de son esprit d’escalier. Et désirait aussi que l’interview, de temps à autre, se transformât en conversation.
Parlons rapidement du Goncourt. Vous publiez désormais vos romans en dehors des dates de sélection des prix. Vous gardez un souvenir cuisant de vos échecs ?
C’est un jeu social où l’auteur se retrouve pris en otage. Bien sûr, il n’est jamais agréable d’être blessé, mais je n’ai surtout plus envie de rentrer dans ce système. Et puis il aurait été d’un ridicule achevé d’aller chercher un prix alors que je viens de changer d’éditeur.
Vous dites dans Le Nom sur le bout de la langue que vous avez écrit « parce que c’était la seule façon de parler en se taisant ». Il semble qu’il y ait chez vous une lutte constante entre la parole, le silence, le langage et la musique.
Parler en se taisant, c’est communiquer une émotion pour toucher au cœur. Le silence seul n’a aucun sens, ce peut être celui d’un imbécile. L’enfant maintient la parole vivante parce que son accession au langage se fait rapidement, dans une sorte d’euphorie. L’écrivain, lui, maintient le langage vivant. Cependant le non-verbal est plus important encore que le langage. Le non-verbal crève la peau du langage mais il n’y a que le langage qui peut le décrire : c’est la rouerie de la chose. Le non-verbal n’existe pas chez les animaux, uniquement chez les hommes : l’enfant qui baisse la tête, qui tend la main, la retourne…
Savez-vous pour qui vous écrivez ?
J’écris pour ma grand-mère, la femme du grammairien. J’écris pour un regard. Je ne crois pas à l’immortalité mais il y a tout de même un monde des morts pour moi. Il faut capter l’attention de ceux qui, lorsque nous étions enfants, nous dédaignaient au profit de la lecture.
Vous espérez « être lu en 1640 ». C’est-à-dire ?
Par cette boutade, en référence à Stendhal, je nie la succession temporelle. Que le proche soit très lointain et le lointain extrêment proche. Le rêve, ce serait de dire : j’écris pour l’origine.
On vous reproche souvent de ne pas être un écrivain contemporain, de ne pas vous intéresser à notre époque.
Pour chaque livre que j’écris, j’essaie de trouver une originalité de la forme qui n’est peut-être pas perçue. Je ne répète pas. Je me sens vraiment le contemporain de la fin de ce siècle. Ce que je conteste, c’est l’image euphorique que notre époque veut se donner d’elle-même....
Dossier
Pascal Quignard
La littérature est la langage qui ignore sa puissance
En quittant ses responsabilités institutionnelles, Passcal Quignard a adopté l’attitude du repli. Homme de lecture et de musique, pour lui la vraie communication est asociale. Entretien avec un homme de Lettres silencieux qui n’en demeure pas moins prolixe.