En attendant de savoir à quel genre littéraire encore innommé se rapporte A sentimental Journey de Lucien d’Azay, désignons-le provisoirement par Objet Textuel Non Identifié, tant ce recueil multiplie les signes extérieurs et intérieurs d’étrangeté. La notule biographique nous apprend ainsi, outre sa date de naissance, que Lucien d’Azay « vit désormais à Venise ». L’on reste quelque peu abasourdi par la teneur de cette information décisive -quand tant d’autres écrivains, moins au fait du dernier chic, se contentent banalement de mourir à Grozny, Alger ou Sarajevo.
Enluminé d’anglicismes plus ou moins gratuits (« Il est clair qu’il ne s’agissait pas, for him, de réaliser un quelconque Baedeker de Chaillot et de Passy »), incrusté de préciosités parfois véritablement bouffonnes (« …l’auguste, souveraine et farouche souplesse dont oncques ne se départent aucun de leurs gestes » - l’auteur décrit ainsi… les chats qui rôdent autour de la Cinémathèque), A sentimental Journey, sous prétexte d’une trentaine de promenades dans la partie nord du seizième arrondissement, s’avère en réalité un insupportable caquetage snobinard, digne de la chronique des potins mondains dans les revues spécialisées ou d’un Who’s who jauni.
Au gré d’une indiscutable mais fort encombrante érudition, Lucien d’Azay s’efforce plus généralement d’épaissir la sauce par d’innombrables et systématiques références littéraires et toponymiques qui flottent, tels d’indigestes grumeaux, à la surface de ce brouet d’encre diluée. Le magnétisme des appeaux sur les canards paraît inférieur à celui qu’exercent certains adjectifs sur l’auteur : « je gage que ce melting-pot à tout prendre labardien eût délecté Morand ». Au milieu de ces fanfreluches stylistiques, la culture générale ne se trouve cependant pas oubliée : l’on saura désormais que Pascal Quignard fréquente la pâtisserie Christian Constant et que « on ne peut pas dire que l’Allemagne brille par son humour ».
En manière de suivez-mon-regard, A sentimental Journey est dédié à Julien Gracq. D’évidence, le pardessus de Monsieur Poirier taille encore un peu grand pour notre flâneur des quartiers huppés.
A sentimental Journey
Lucien d’Azay
Climats (coll. Micro-climats)
120 pages, 70 FF
Domaine français Ici Passy, mais passons
juin 1995 | Le Matricule des Anges n°12
| par
Eric Naulleau
Un livre
Ici Passy, mais passons
Par
Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°12
, juin 1995.