Rien de neuf dans les deux recueils de nouvelles de Ravalec si ce n’est qu’on s’enfonce un peu plus dans une supercherie littéraire déguisée en révolution de chambre. L’étonnant est que la plupart des médias, qui ont largement soufflé dans les voiles de cet auteur, n’ont pas eu l’heur de s’en apercevoir, étrangeté qui pose ses propres limites et dévoile la cécité et le manque de lucidité qu’engendre un effet de mode. Supercherie donc car Ravalec emploie, consciemment ou non, une recette pour monter en mayonnaise un œuf vide. Utilisant tous les termes et expressions du langage parlé revisité (« top of the top », « mort de rire », « niqué »…) il se place donc d’emblée dans l’écriture que l’on qualifie de jeune, rock, branchée. Jusque là, rien à dire car dépoussiérer un peu les étagères de la culture académique et du littérairement correct ne peut qu’apporter un souffle d’air frais et une goutte d’élixir de jouvence. Les thèmes choisis sont pour la plupart en adéquation avec le vocabulaire : drogué en manque, procès de marginaux et tranches de vie qui se veulent Polaroïd de l’incohérence fin de siècle. Le style est enlevé (emploi massif de virgules et de phrases courtes) et le rythme au tempo précis. Alors ? Alors, la forme ne suffit pas, Ravalec brasse du vent. De ses nouvelles, il ne reste strictement rien dans l’œil du lecteur, aucune trace dans la mémoire du plaisir, aucune griffure dans l’émotion. Il ne suffit pas de ne rien raconter, il ne suffit pas de braquer ses jumelles sur les marges, il faut encore avoir le souffle magique pour en retirer la substantifique moëlle.
Partis de pas grand-chose, les textes de Ravalec n’arrivent nulle part. L’humour est un rien inférieur à celui d’un patronage de retardés (le narrateur est « mort de rire » lorsqu’un dénommé Bernard marche dans la merde : époustouflant.) Les personnages sont des sortes de Pieds Nickelés au rabais dont les historiettes qu’ils animent s’étirent parfois dans une longueur à côté de laquelle l’ennui n’est rien (Viva Madrid). Ce ne sont pas des héros extirpés de leur époque, mais des émanations lourdes d’une bourgeoisie d’esprit qui cherche à s’encanailler. Nous sommes là au cœur du problème : les écrivains comme Ravalec se veulent et/ou sont présentés comme témoins d’un monde qu’ils ne connaissent pas. La zone, la misère, le désespoir, le cynisme et le dérisoire ne sont pas dans ces pages, il n’y a que leur caricature. Il faudrait relire James Lee Burke ou Bukowski pour avoir une vision réelle de cette sorte de vie. Ou alors avoir la force littéraire d’un Selby capable de fouiller les tréfonds des entrailles pour sortir un diamant d’un tas de merde. La lignée, on le voit, est américaine. Elle descend d’auteurs pour qui écrire était une nécessité pour atténuer la souffrance de la vie qui les avait choisis. On ne fait pas semblant en littérature et le malaise mâtiné de colère que l’on ressent à la lecture de Ravalec vient du sentiment qu’on nous prend, nous lecteurs, pour ce que nous ne sommes pas. Quelques paillettes de style, quelques facilités d’écriture, quelques provocations sans danger ne font pas une œuvre. Ravalec a tous les accessoires de l’écrivain, il ne lui manque que le principal.
Pour finir, nous dirons (mais est-ce vraiment de sa faute ?) que Ravalec est dans l’air du temps. Celui qui fait tourner les girouettes.
Vol de sucettes
Recel de bâtons
Vincent Ravalec
Le Dilettante
166 et 183 pages, 85 FF chacun
Domaine français Un pur moment de bluff
juin 1995 | Le Matricule des Anges n°12
| par
Alex Besnainou
Maitrisant un certain style, Ravalec écrit des nouvelles creuses et sans intérêt, symptôme de ce que peut être la société du spectacle en littérature.
Des livres
Un pur moment de bluff
Par
Alex Besnainou
Le Matricule des Anges n°12
, juin 1995.