Voici un livre profondément rassurant : l’Homme est bien supérieur à l’animal ! Non pas qu’il pense, ni même qu’il brigue des postes à responsabilités, mais simplement parce qu’à la différence des bêtes il ne fait pas toujours l’amour de la même manière… Et ce recueil de six nouvelles s’offre précisément de le démontrer par des exemples d’une rare éloquence : une femme paie les services sexuels de ses amants, un jeune homme décuple son ardeur à l’aide d’un petit poisson, et un « tombeur » honore chaque retrouvaille en recouvrant ses partenaires de sa semence ! Mais cette supériorité paraît en réalité bien fragile, comme si chaque instant menaçait de révéler son animalité : ainsi un « ange » devient faucon, un autre abeille, et la sagesse se mue parfois en une cruauté que la nature ignore -pour un (très grave !) problème d’épilation, un homme vide un chargeur dans le corps de son amie !
Telle pourrait d’ailleurs être la véritable supériorité de l’Homme : sa prédisposition à noircir la vie ainsi qu’à vivre des tragédies. Les uns s’acharnent à gommer ce qu’ils rêvent de voir disparaître quand les autres s’acharnent à ressusciter ce qui a disparu ; mais pour chacun, le drame reste celui de l’amour, et dans la solitude, « le silence envahit tout » : « Maintenant, quand quelqu’un parle, chaque fois c’est la même surprise. C’est si fort. Si à part de tout. Loin de nous. Loin de toi. »
On pénètre dans ces courtes nouvelles comme dans une pièce de théâtre, à la faveur de phrases nominales qui dessinent des décors aussi dénudés que peuvent l’être ceux de Beckett. Mais de ce recueil on ne retient guère que quelques scènes -une rencontre dans un aéroport, le malaise d’une apicultrice, une lecture à haute voix… C’est que toutes ces histoires, si simples et par conséquent si complexes, baignent « dans l’une des sept couleurs fondamentales du spectre de la lumière », un fond de lumière en lequel elles se dissolvent afin de mieux nous séduire, comme enchantaient notre enfance, par un mélange de peurs et de joies, ces contes dont Giraudon mesure ici les irradiations.
Les Animaux font toujours
l’amour de la même manière
Liliane Giraudon
P.O.L.
121 pages, 95 FF
Domaine français Ni anges, ni bêtes
septembre 1995 | Le Matricule des Anges n°13
| par
Didier Garcia
Un livre
Ni anges, ni bêtes
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°13
, septembre 1995.