La limite qui sépare un bon livre d’un livre médiocre ou convenu tient parfois à de très petites choses, à un mot de trop ou à une tournure récurrente qui le mine de l’intérieur, comme le ver dans sa pomme. Le roman de Marie Ferranti, Les Femmes de San Stefano a, quant à lui, une fâcheuse tendance à vous filer comme du sable entre les mains. Il vous amène très facilement jusqu’à ses dernières pages sans pour autant avoir ébranlé les vues établies ou convenues de votre regard sur le monde : au bout de cette centaine de pages, que retient-on, sinon l’histoire de l’errance de Francesco, hanté par la mort de sa femme, les stratégies mesquines d’Émilienne, l’une des femmes du petit village corse qui cherchent à faire circuler de mauvaises rumeurs, la violence contenue du corps de chacun des personnages, l’impossibilité pour Francesco d’aimer encore, de passer le deuil, et cela jusqu’à être battu de coups de pieds, la bouche pleine de terre, et battu encore, cette fois-ci à mort. Que reste-t-il de tout ça, sinon la fine carcasse d’une histoire qui avait tout pour faire sortir de ses pages une véritable tension charnelle. Mais la trame de l’histoire se relâche et devient molle. L’écriture manque d’audace, alors qu’on attendrait d’elle qu’elle se torde, se plie et s’essouffle, s’accroche et se déchire dans les événements qui fondent le livre, comme la rixe en forêt, un pur moment qui restera en mémoire : « La semelle qui écrasait sa joue, bouchait tout. Francesco ne distinguait plus rien. Il ne sentait plus que l’oppression de ce poids immense qui lui écrasait le visage. A chaque battement de paupières, il entendait le bruit léger que faisait le frottement des cils contre le cuir épais ». De même, Marie Ferranti évite et casse l’exotisme et l’imaginaire préfabriqués qu’aurait pu convoquer la situation insulaire de San Stefano. Mais cela ne suffit pas. Lorsque Émilienne chute durant les vendanges, se déboîte l’épaule dans le même temps que la sangle de son panier se coupe, et se retrouve, "un pantalon f
Les Femmes de San Stefano
Marie Ferranti
Gallimard
111 pages, 80 FF
Domaine français Mollesse corse
novembre 1995 | Le Matricule des Anges n°14
| par
Emmanuel Laugier
Un livre
Mollesse corse
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°14
, novembre 1995.