Il faut faire preuve de certaine témérité pour publier Philip Lamantia en France.Cela implique déjà que l’édition soit bilingue.En effet, ce poète radical ne se soucie guère du sens donné aux phrases et joue plus sur leur sonorité et les images qui résultent du choc d’un montage surréaliste : « Tes mains dont les cristaux rayonnent dans la nuit/traversent mon sang/ et tranchent les mains de mes yeux ». Jean-Jacques Celly s’est attelé à suivre littéralement le poète.On perd en musique ce que l’on gagne en thèmes, en visions. Le texte original, sur la page en vis-à-vis, permet de retrouver les sonorités de l’américain.
Écrits entre 1943 et 1966, les poèmes de cet Américain né en 1927 se nourrissent directement des images surréalistes d’un Breton ou plus encore des peintures d’un Max Ernst. L’écriture automatique y déploie ses incohérences poétiques où des images un brin dépassées et réellement mièvres associent l’amour au miroir, les étoiles aux fleurs (« des papillons sont venus se poser sur tes lèvres/ dont les paroles habillent les étoiles dansantes »), etc. Heureusement, remonte à la surface l’expression d’une rébellion violente et visionnaire : « Ils sont venus pour violer la ville/ infestée d’employés au sang de fer/ et pour envoyer les prêtres chauves/ à la marre des ancres fatales ». L’héraldique, cher à Jarry, donne à Lamantia la voie à un autre monde, peuplé de « serpents lisses et rouges/ entrelacés dans les têtes des sorciers ».On peut penser (l’éditeur ne le précise pas) que les poèmes nous sont donnés selon leur chronologie d’écriture.Si tel est le cas, Philip Lamantia se détache de plus en plus de la simple surface des images et pénètre plus profondément dans un monde fantomatique, presque liturgique, dont il demeure le seul démiurge.Il manie les foules de femmes ou d’amants, les minéraux et les éléments comme une matière picturale. Tout se passe comme si, naïvement subjugué par le pouvoir de l’écriture surréaliste, le poète s’était radicalement enfoncé dans cette voie malgré le déclin de ce courant.Luttant seul contre une poésie redevenue plus classique après la guerre aux États-Unis, il radicalise son propos et tourne le dos à l’immédiate beauté des images.Son univers, alors, semble jeter une passerelle entre les surréalistes et la Beat Generation dont on entend ici des échos précurseurs lorsque Lamantia s’attache à dépeindre les paysages urbains.
Psychédéliques, les poèmes ressemblent alors aux cut-up chers à Burroughs, dévalent tous les sentiers où pousse la drogue (L.S.D. ou peyotl), alignent leurs mots en capitales, balaient la page de leurs griffures. Il y a là plus d’énergie, plus de réussites que dans les premiers textes.Grâce Bleue écrit en 1963 constitue la jonction entre la foi en une autre vie et la désillusion face à l’impossibilité de l’inventer : « Grâce Bleue dissimulée sous des lunettes noires/ sortant d’une centaine de voitures blanches à la fois !/Des voitures de modèles étain ectoplasmique/ se rendent au point de jonction où Grâce Bleue est violée/ à la Cour des Miracles, Mexico City, 1959 ». La prise en main d’un nouveau langage (le surréalisme) n’aura finalement pas ouvert les portes du monde au poète. Impuissant à créer l’univers rêvé, il s’enferme dès lors dans une relation conflictuelle avec le monde qui s’oppose à lui et qui transforme les espoirs en illusions.
Révélations d’un jeune surréaliste
Philip Lamantia
Traduit de l’américain
par Jean-Jacques Celly
Jacques Brémond
140 pages, 120 FF
Poésie Modernité archaïque
mars 1997 | Le Matricule des Anges n°19
| par
Thierry Guichard
Inconnu en France, le poète américain Philip Lamantia a construit une œuvre où l’image surréaliste domine entre magie et ésotérisme.
Un livre
Modernité archaïque
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°19
, mars 1997.