Après les biographies de Renée Vivien, Pierre Louÿs et Jean de Tinan, Jean-Paul Goujon s’attaque à l’un des mythes littéraires les mieux ancrés du XXe siècle, Léon-Paul Fargue. Un mythe trompeur dont on pense avoir tout dit en évoquant Le Piéton de Paris (1939). Son omniprésence dans l’histoire littéraire (La Nouvelle Revue française et Commerce, la librairie des Amis des Livres…) cache un personnage bien plus changeant que Janus dont les deux faces ne suffisent pas à réduire le poète rétif et merveilleux, l’ami charmant et gênant, l’homme dans son intimité ou en public… Il faut dire que Fargue n’a rien fait pour que la postérité s’y retrouve. Les dictionnaires soulignent son « inexactitude proverbiale », mots auxquels on peut préférer « affabulation ». Le livre largement documenté de Jean-Paul Goujon fait la lumière sur la vie du poète en donnant en éclairage nouveau sur ses relations intimes avec Jarry jusqu’à ses brouilles multiples : exclusion du cercle d’Adrienne Monnier, fâcherie avec Larbaud qui le nomme « médisant récidiviste ». Son indélicatesse et sa mythomanie lui ont joué des tours.
Né en 1876 dans le quartier des Halles, Fargue est un gosse du terroir parisien, amateur de goualantes et de caf’conces. Il débute avec Tancrède (1894) prétendument écrit à seize ans et publie dans les meilleures revues de son temps Pan, La Plume, les Essais d’art libre. Après des débuts vifs, son oeuvre se construit plus lentement dans la décennié 1910. Elle reprend son soufle à partir de 1928-1929, années qui voient paraître Banalité, Épaisseurs, Suite familière.. Et Fargue n’a pas cessé de parcourir la capitale, parfois dans les pas des journalistes de Détective. « Nous étions tous préoccupés du tragique intime, dit-il, du trafique pauvre, du charme des saisons de Paris, de l’éclairage mystérieux des rues, des fêtes foraines, des banlieues. » L’un des nombreux mérites de l’ouvrage de Jean-Paul Goujon est de réévaluer certains recueils de poèmes écrasés par la renommée du Piéton de Paris : Ludions d’abord où les cocasseries papillonnent, Vulturne dont l’invention verbale et le rythme nerveux marquent le territoire fantastique du monde urbain. Sans oublier le Fargue vieillissant de Haute Solitude dont la curiosité s’est teintée de spleen. Le solitaire y fait ronfler les « orgues mélancoliques » et jouit de cette « paresse très active » (dixit Saint-John Perse) qui confine à la nonchalance, cette autre muse du poète.
Éric Dussert
Léon-Paul Fargue
Jean-Paul Goujon
Gallimard, 315 pages, 145 FF
Histoire littéraire Le poète encombrant
juillet 1997 | Le Matricule des Anges n°20
| par
Éric Dussert
Un livre
Le poète encombrant
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°20
, juillet 1997.