C’est un curieux héros qui habite le premier roman de Raymond Bozier ; personnage à l’identité non dévoilée, muet, voyeur et impuissant, il est le narrateur de ce récit ayant pour cadre un hameau isolé dans une campagne non définie, hameau qu’il reste seul à occuper après le décès de ses parents. Il continue à entretenir ce domaine, tant bien que mal, y élevant sans conviction un troupeau de cochons et quelques volailles. Avec obstination, il note tout ce qu’il voit. Cette solitude extrême se trouve subitement rompue par l’arrivée d’une famille composée d’un couple, de leur fille et de son oncle, s’installant là avec leur cruauté. Le décor est planté d’une histoire sordide que le narrateur rapporte tout en s’y trouvant impliqué, malgré lui.
Au-delà de ce récit empreint d’une rare violence -ou bien n’est-elle que naturelle ?- Raymond Bozier a voulu restituer un paysage englouti, « arraché de notre mémoire ainsi que des haies renversées par un bulldozer. » Il avoue avoir écrit Lieu-dit en pensant à sa grand-mère maternelle analphabète tandis qu’il apprenait à lire. Fils d’ouvrier agricole, il se souvient lui-même de ces hameaux parsemant la campagne, des rites de la ferme, de la tuaison, de cette géographie si particulière que la désertification rurale a inéluctablement transformée.Le propos de ce livre, pourtant, n’est pas la complaisance d’un passéisme puisant dans une dérive bucolique sans doute hors-sujet aujourd’hui. Lieu-dit apparaît plutôt comme un tableau décrit sans concession ni jugement de valeur. La violence et les travers des hommes sont ici comme ailleurs l’incontournable condition humaine. Muet, le narrateur n’a pas à se prononcer. Quant à son impuissance, elle ne fait que plaider, comme ses carnets où il consigne les moindres faits et gestes, son innocence. Les téléviseurs qu’il finit par installer à chaque fenêtre et dont il se plaît à contempler, de l’extérieur, les écrans brouillés, illustrent l’intrusion de la modernité dans cet ermitage, une modernité à laquelle il reste récepti
Domaine français Le roman d’un poète
novembre 1997 | Le Matricule des Anges n°21
| par
Alain Helissen
Un livre
Le roman d’un poète
Par
Alain Helissen
Le Matricule des Anges n°21
, novembre 1997.