Odile Massé a sans doute accompagné le loup chez la grand-mère, voire même perdu le Chaperon Rouge, aidé Barbe Bleue à découper ses femmes dans l’arrière-chambre… Lire, déjà, la façon dont elle a, avec ses complices, rédigé la chronologie de leur troupe de théâtre 4 litres 12, c’est entrer dans un univers qui revendique le rire face au tragique et une approche du monde qui passe par l’utilisation dynamique de la cruauté, de la dérision et de la farce, jouant Witkiewicz ou devenant complice de Gombrowicz. De ce travail collectif au face à face solitaire qu’exige l’écriture, il n’y aura donc eu, apparemment, pour Odile Massé, qu’un pas à faire.
Les éditions AEncrages & Co seront ainsi les premières à publier ce drôle de travail : en 1986, c’est Alma Mater, en 1991, Vingt et un cannibales, puis en 1993, L’Homme qui dort. Entre-temps chez Manya paraît un court roman, La Femme de papier. Le silence radio qui entoure les livres d’Odile Massé, et qui n’épargne pas son nouveau texte Tribu, étonne même : lire Odile Massé, c’est en effet entrer dans des sortes de contes primitifs où la légèreté s’allie à une conscience aiguë de l’horreur, de la fatalité, de la dérision et de la désinvolture. En passant, on dirait volontiers de cet écrivain, originaire de Nancy, qu’elle trouve sa place entre Les Morts sentent bons d’Eugène Savitskaya et Les Plaisirs du roi de Pierre Bettencourt. Ils partagent tous trois cette façon de dévoyer la réalité et de la remplacer par un monde imaginaire tangible et palpable, qui construit aussi bien un récit aux allures millénaires qu’un univers centré sur le fantasme et les petits événements de la vie quotidienne. C’est le tour de passe-passe que parvient à faire, avec autant de force, Odile Massé dans Tribu. Sur une centaine de pages, une petite trentaine de proses défilent. Toutes décrivent la vie d’une tribu et celle-ci a bien les apparences de notre propre famille. Sauf qu’ici, les mœurs, et la critique acide et hilarante qu’Odile Massé fait de toutes règles de bienséance, ont le caractère changeant de ceux qui les décident. On ne sait plus où donner de la tête et le relativisme absolu dans lequel cette tribu baigne conduit à de drôles de jeux, comme lorsque les cousins sont de passage : « Il faut voir avec quelles convictions nos aînés nous entraînent au combat, comme ils luttent, crient et percent des panses, et comme avec acharnement nous suivons le mouvement, un coup à droite, un coup à gauche, avançant pas à pas bouche ouverte et piétinant les blessés sans même y prendre garde » ; ou comme quand les enfants s’amusent entre eux : « et parfois nous inventons d’autres règles amusantes, nous coupons un doigt, tapons du bâton, plantons des compas, des plumes, des crayons, pataugeant dans les humeurs et le sang, et toujours en silence ». Comme si de rien était, Odile Massé continue à vous coller aux humeurs des humains, dans une langue d’une maîtrise superbe, par des phrases nettes, qui s’enchaînent simplement avec majesté. Odile Massé allie cette aisance à la douce folie d’une logique implacable et périlleuse : garder la mécanique du suspens secrète et la chute de chaque histoire inéluctablement surprenante. En allant chez votre libraire, qui sait, peut-être n’en reviendrez-vous pas, et seuls vos os serviront à enrichir le carillon de cette mystérieuse porte d’entrée…
Tribu
Odile Massé
Mercure de France
105 pages, 75 FF
Domaine français La tribu familiale
janvier 1998 | Le Matricule des Anges n°22
| par
Emmanuel Laugier
En onze ans, Odile Massé, comédienne, a publié quatre livres : récits inquiétants, proses sanguinolentes et cruelles. Entre farce et tragique.
Un livre
La tribu familiale
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°22
, janvier 1998.