Figé dans le costume un peu étriqué de l’humoriste de service, Alphonse Allais aurait annoncé à ses proches son ambition de devenir poète lyrique. Si l’on en juge par ses poésies complètes publiées par François Caradec -à qui l’on doit déjà la biographie d’Allais et ses Œuvres anthumes et posthumes (Bouquins)-, il ne risque pas de ravir son auditoire à François Coppée. A lire sa production poétique, il semble en effet que cette référence au lyrisme ne soit pas à prendre au pied de la lettre. Ce serait plutôt la marque d’une époque qui a fourni les plus beaux spécimens de poètes fumistes au nombre desquels se distingue Georges Fourest.
A vrai dire, la métromanie d’Allais recouvre beaucoup d’ironie : « Nous faisons de la poésie/ Anesthésie, Anesthésie ». Riche mélange de désinvolture, de détournement et d’irrévérence, les « poésies complètes » d’Allais ne coïncident décidément pas avec les langueurs du « N’y touchez pas, il est brisé ». Ce poète d’humeur est à la recherche d’effets nouveaux. Pour ce faire, il déploie une inventivité qui le classe au rang des pré-oulipiens : vers holorimes (« Par les bois du Djinn/ Parle et bois du gin »), néo-alexandrins (la moyenne des vers d’un poème doit faire douze pieds), poésie scientifique, amorphe ou sous hypnose, l’essentiel est que tout poème s’achève dans la bonne humeur : « Il a raison, mon médecin,/ L’abus du lit n’est pas un travers sain. »
Au-delà du ressort comique des calembours, il est clair qu’Allais innove. Lorsqu’il pastiche ou salue ses contemporains, lorsqu’il virevolte sous le nom du tout jeune poète « Alain Star de Méterlinque », le virtuose n’omet pas de commenter justement : « Ne souriez pas, c’est très fort ». Et ça l’est en effet. Si d’aventure il existait un lecteur que la « maboulite holorimeuse » d’Alphonse Allais ennuie, il pourrait se pencher sur la réédition de deux recueils de proses allègres : Le Captain Cap, fameux catalogue de cocktails ébouriffants (La Table ronde, 295 pages, 45 FF) et Le Chambardoscope (Mercure de France, 95 pages, 20 FF) qui reste une occasion d’énoncer cette excellente maxime : Si tu es gai, ris donc.
Par les bois du Djinn
Alphonse Allais
Fayard
250 pages, 110 FF
Histoire littéraire Alain Star de Méterlinque
juin 1998 | Le Matricule des Anges n°23
| par
Éric Dussert
Un livre
Alain Star de Méterlinque
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°23
, juin 1998.