Peinture des années 80 dans la bonne société de Los Angeles, Zombies annonce une fin de siècle déjantée qui verrait les sentiments humains déserter la planète. Portrait d’une génération qui ne peut même plus être perdue (il faudrait déjà qu’elle se trouve), le roman s’attache à suivre des personnages plus ou moins liés à un groupe d’amis étudiants. L’université et le surf en toile de fond, la musique très commerciale comme rythme sonore et des chapelets de marques de fringues, montres, lunettes de soleil, voitures, etc. balisent cet univers désincarné. Si les gamins de Los Angeles sont ainsi des zombies, avec leur regard bleu et vide qui séduit car « on peut s’y perdre », c’est qu’ils sont les rejetons gâtés de richissimes producteurs de cinéma, agents immobiliers ou golden boys. Leurs parents leur achètent des Porsche ou des Jaguar, des Roleix et des costumes italiens pour faire passer la pilule d’une famille décomposée, où le père ne cache aucune de ses relations sexuelles et où les mères s’envoient leurs copains. Tout ce à quoi tout le monde rêve, ils peuvent se l’offrir. Seulement voilà : ils ne peuvent plus en rêver, l’ayant à porter de bourses. Rien ne les attire, rien ne les émeut, rien ne les motive. Ils ne cherchent qu’à obéir aux règles de leur société : discussions insipides, violence, drogue. C’est le procès de la société américaine, attaquée par l’auteur dans ce qu’elle a de plus clinquant : l’argent, le pouvoir et les produits de consommation. Monde pathétique comme les discussions qu’un père ne parvient pas à avoir avec son fils.Leur dialogue s’effiloche, le dégoût marquera seul le week-end passé ensemble à Hawaii. Pathétique également la bêtise d’une mère shootée au valium et incapable de faire preuve de la moindre volonté ; pathétique la présentatrice de journaux de télévision qui à force de vouloir épouser son époque finit par avoir autant d’épaisseur qu’une image.
On pourrait facilement être blasé de cet univers dont on croit déjà tout savoir mais Bret Easton Ellis joue remarquablement de l’ambiguïté. Roman social ou politique, Zombies ne passionnerait que les sociologues. Roman rock, comme le marketing aime présenter certains livres, il ne tiendrait pas ses presque trois cents pages. S’il y a de l’émotion, finalement, dans cette traversée nauséeuse des années quatre-vingt c’est bien parce que l’auteur parvient à montrer la violence qui s’impose là où les sentiments ont déserté. Un de ses personnages, Anne, arrive à L.A. et écrit à son ami de New York parce qu’elle l’aime ! Incongruité dans le roman qui va bientôt être résolue : la frénésie de la vie californienne va changer petit à petit la nature de la jeune fille et l’on assiste à cette métamorphose comme à une tragédie dont tout est écrit à l’avance et dont, pourtant, le scénario nous tient en haleine. Où se situe l’écrivain par rapport à ses propres personnages ? On aimerait qu’il soit plus proche d’Anne que des autres, mais la fascination qu’il semble ressentir pour ces dialogue répétitifs et lépreux le place de facto à l’intérieur de chaque protagoniste. D’où la force du livre. Et nous ne dirons rien de cette trouvaille de Bret Easton Ellis quant au titre même de son roman. Et si Zombies était un roman fantastique ? L’ambiguïté est souvent fascinante.
Zombies
Bret Easton Ellis
Traduit de l’américain
par Bernard Willerval
10/18
276 pages, 44 FF
Poches Les anges déchus de L.A.
septembre 1998 | Le Matricule des Anges n°24
| par
Thierry Guichard
Violence, drogue et sexe : l’univers exacerbé de Bret Easton Ellis dénonce la perte des valeurs sentimentales qui fait de nous des zombies.
Un livre
Les anges déchus de L.A.
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°24
, septembre 1998.