Au dos du livre, comme un ultime clin d’œil, mais aussi un rappel à l’incendie violent libéré par ces poèmes : un démon s’arrachant la tête. Nous ne sommes pas bien loin de l’acéphalité, à sentir le monde hors d’un cerveau palpable, à nous y promener dans une attitude nouvelle, folle aux yeux des autres. Et ce sont bien avec d’autres yeux qu’il faut lire cette poésie inhabituelle, un autre regard, et peut-être une autre tête au terme de la lecture tant Olivier Apert, à défaut de nous l’arracher, a dévissé la nôtre.
Dans le geste de ce démon, il y a pourtant autre chose : il s’enlève la tête paisiblement, de son plein gré, confiant. Ainsi ce geste, autant invraisemblable soit-il, est contrôlé. Il procède d’une démarche singulière qui donne son premier indice par le titre de l’ouvrage Comme au commencement, juste titre comme s’il en est : « Ô Stuka ! Ô Spitfire ! Le géant roux roulait des yeux exorbités :/ « A speech Paddy ! We want a speech ! » & le chien fou de/ Waterville la blanche se précipitait sous/ les roues des voitures dans un élan de tauromachie frénétique :/ celui-là n’en reviendra et n’en sortira pas indemne/ perclus de drames -et d’ivresse pour les oublier./ Non ! nous n’en reviendrons pas indemnes, le cerveau entaillé/ zébré flagellé calciné sous nos trois soleils artificiels. »
Voilà le déluge commence, floraison d’images dont les subtiles références n’entachent pas la narration, mais l’enrichissent d’autres lectures, d’autres sens. Ce chant de début d’un monde tout vieilli d’histoire se déploie sous nos yeux, dense et fiévreux, Olivier Apert rappelant l’indéniable charme du langage poétique quand il obéit à des artifices intelligents, dont le poudroiement ici en effet ne s’éteint pas.
Parler de ce recueil n’est pourtant pas chose aisée. Si l’on peut l’introduire, ou s’il s’introduit jusqu’à nous par le poème-titre, il n’est pas seulement ce chant inaugural qui perpétue en reflet la naissance incessante du monde. Il prend à lui les possibilités de l’écriture poétique, avec une aisance et une audace qui n’étaient pas aussi présentes dans les ouvrages précédents d’Olivier Apert (trois recueils parus chez Æncrages & Co).
Ces « poèmes et prosèmes » ne sont pas loin d’inventer un nouveau lyrisme, où le flot langagier n’empêche jamais le cisèlement, ni l’ivresse la lucidité : « EUPHORIE & tu manques// tu manques comme un oiseau éblouissant/ quand à la lisière des bas le matin arrache les rideaux/ et entrouvre la nudité à demi drapée tu manques comme/ la chevelure son algue humide qui vient fouetter le visage d’oreiller/ tu manques comme le jour accroché à ta bouche - »
Dandy, Olivier Apert l’est à plus d’un titre : les fins du monde y sont célébrées avec élégance, le poète pouvant s’en détourner en un instant pour célébrer une naissance ; dandy aussi par une frénétique exploration du monde et des sens qui trouvent dans l’éternel féminin leur juste mesure.
Dantesque bien sûr par ces mondes traversés, de l’enfer au paradis, et les langages, les langues, les êtres, les noms utilisés pour en être la mémoire. Olivier Apert a choisi de parier sur les signes dans une écriture inapaisée.
Son recueil constitue une heureuse (nécessaire ?) interférence dans la poésie française d’aujourd’hui.
Comme au commencement
Olivier Apert
Editions Mihàly
(19, rue Basly 92230 Gennevilliers)
88 pages, 80 FF
Poésie Le dandy dantesque
août 1999 | Le Matricule des Anges n°27
| par
Marc Blanchet
Feu d’artifice ? Dynamite ? Avec Comme au commencement, Olivier Apert crée un véritable bataillon pyrotechnique dans la poésie française.
Un livre
Le dandy dantesque
Par
Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°27
, août 1999.