Violette Leduc tenta vainement de nous faire parvenir Thérèse et Isabelle : elle n’eut jamais la satisfaction de le voir en édition courante tel qu’il avait été conçu en trois années de travail.
Ce récit constituait en 1954 le début de Ravages, roman qui en l’état fut refusé par Gallimard, l’année où Histoire d’O, après un semblable refus d’autocensure, trouva refuge chez Pauvert. Cette superbe ouverture supprimée parut chez Gallimard, expurgeé et isolée en un précieux petit volume, en 1966, lorsque l’auteur de La Bâtarde (1964) eut acquis quelque notoriété. La version intégrale est enfin publiée, et l’histoire est dite en une sobre postface par Carlo Jansiti.
C’est un récit inspiré, poétique, dont la chute abrupte clôt un tout cohérent. Une interne d’un collège éprouve une passion pour une de ses condisciples. Elles sont très jeunes, mais on ne sait pas leur âge, l’auteur ne s’appesantit jamais sur les circonstances sociales. Désir, nuits d’amour dans l’immédiate proximité de surveillantes et de collégiennes endormies et qui pourraient quelquefois se montrer trop curieuses, silence forcé, hantise du lit qui « gémit », peur de rire, de crier ou simplement de s’oublier et de parler un peu fort.
Beau récit de la présence de l’une dans l’esprit de l’autre : c’est le corps à corps chaque nuit interrompu avec peine, attendu avec impatience toute la journée suivante, repris dès que possible jusqu’à l’épuisement. C’est l’emprise du plaisir ; après sa surprise, c’est son attente. C’est plus précisément la recherche de la perle, la douceur qu’elle demande, la crainte de la brutaliser ou de la perdre, de ne pas la retrouver assez vite. Ces choses importantes n’avaient jamais été aussi bien dites. Le texte ne se veut pas érotique mais précis et vrai. Il est poétique, sans la moindre mièvrerie.
Cette quête est aussi une fuite. La narratrice fuit sa famille. Elle a été placée là parce que sa mère s’est remariée et que pour Thérèse, son beau-père, ce sera toujours « monsieur ».
Quel plus beau réconfort qu’une jeune fille aimante ? Cette quête est un apprentissage. La narratrice nous rapporte sa défloraison mais plus généralement l’auteur nous montre, allant de pair avec sa découverte sensuelle, un apprentissage moral de l’Autre. La narratrice doit affronter pour son amie le voyeurisme des clients en allant dans une maison de passe pour que son regard puisse enfin se réjouir de l’entière nudité de son amoureuse…
Cette quête se fait aussi contre le lieu clos de l’institution dans laquelle la rencontre a eu lieu. Dès lors que ce contexte ne peut empêcher cette union, il lui donne une valeur encore accrue. C’est une conquête sur soi, sur ses peurs, c’est une confiance consentie à l’autre personne, c’est un risque pris pour elle et avec elle partagé.
La Bâtarde avait révélé Violette Leduc (1907-1971), proche de Jouhandeau et de Genet, une homosexuelle qui se trouvait laide et que Simone de Beauvoir eut le mérite d’aider à publier ses livres et à se faire connaître. Ici, on est sans doute devant son texte qui parut le plus « sulfureux ». Pourtant, a-t-on jamais aussi bien dit l’innocence première du désir, la beauté du partage amoureux clandestin et la force de la tendresse féminine ?
Thérèse et Isabelle
Violette Leduc
Gallimard
144 pages, 75 FF
Domaine français Clandestines amours
janvier 2001 | Le Matricule des Anges n°33
| par
Jacques Goulet
Publication, enfin intégrale, du chef-d’œuvre de Violette Leduc qui montre combien l’amour peut s’écrire au féminin. Comme plaisir.
Un livre
Clandestines amours
Par
Jacques Goulet
Le Matricule des Anges n°33
, janvier 2001.