Publié en 1965 en Israël, L’Affaire chocolat est un texte déconcertant, dont tous les détails ne sont pas faciles à saisir, faute d’une inscription géographique et d’un déroulement chronologique précis. Disons tout d’abord que ce court récit confronte les destins de deux juifs qui se retrouvent « après le déluge » dans une ville d’Europe de l’Est où cohabitent les armées russe et américaine. Ce pourrait être Vienne. La narration commence sur un ton qui rappelle Beckett. Les deux hommes évoquent leur passé antérieur, mais leurs gestes et leurs comportements trahissent l’emprise persistante des années de camp. Ainsi, dans un restaurant populaire, est-ce pour eux un luxe que de laisser la soupe parce qu’elle a refroidi. Leur but, ce serait d’émerger, il leur faudrait réapprendre à vivre, en retrouver le désir. L’un pousse l’autre à aller voir des prostituées afin qu’il fasse l’amour une première fois. Ni l’un ni l’autre n’est sûr d’avoir l’appétence de vivre, c’est aussi ce désir de vivre que le système concentrationnaire s’est acharné à détruire en eux.
Le livre changera de ton à partir du moment où l’un devra évoquer l’autre au passé. Celui qui survivra au suicide de l’autre cessera d’attendre une aide ou un signe, il imaginera plutôt un stratagème pour échapper à la misère. Ce sera l’« affaire du chocolat ». Des surplus sont disponibles. Si on faisait courir le bruit qu’une substance y a été introduite pour modérer la libido des soldats auxquels ce chocolat noir était destiné, plus personne ne voudrait l’acheter. En achetant des stocks et en démentant par la suite cette rumeur, on disposerait d’un chocolat revalorisé. Resterait plus qu’à l’écouler…
Outre qu’elle a blessé le désir de vivre, la domination nazie a endommagé bien des repères moraux, même chez ses victimes qui lui ont survécu. En un sens, ce livre est une fable sur la dimension inéluctablement politique de notre existence.
L’Affaire chocolat
Haïm Gouri
Traduit de l’hébreu
par Rosie Pinhas-Delpuech
Denoël - 154 pages, 18 €
Domaine étranger Revivre après les camps
septembre 2002 | Le Matricule des Anges n°40
| par
Jacques Goulet
Un livre
Revivre après les camps
Par
Jacques Goulet
Le Matricule des Anges n°40
, septembre 2002.