Journal de guerre en Chine
1938 : deux écrivains de gauche, anglais bon teint, polis, courtois, ironiques et vêtus de tweed, débarquent à Canton, direction la Chine en guerre. La guerre a commencé quelques mois plus tôt ; quand Christopher Isherwood et W.H. Auden arrivent, l’armée du Japon impérial occupe déjà tout l’est, les grandes villes industrielles et portuaires. Du périple qui les conduira au front, Isherwood va tenir un Journal qu’Auden ornera de quelques poèmes à sa manière (un peu terne). Défile alors une Chine cocasse, pleine de responsables officiels, d’accompagnateurs, de coolies, de fausses nouvelles et de vraies défaites. Isherwood chronique ces rencontres avec la présence occidentale, Russes blancs, conseillers militaires anglais, diplomates, croque quelques personnages du décor, dont ce prisonnier japonais, « un tout jeune homme replet, le visage rond, ficelé comme un paquet, qui paraissait aussi isolé, dans sa captivité, qu’un bébé panda », prend note des effroyables inégalités sociales et rapporte les malruciens propos d’un Révérend américain qui déclare : « Ici même, le flot immense de la culture occidentale, qui jaillit de la Grèce et de Rome, fut modifié par Juda et absorba les techniques, rencontrera cet autre grand flot humaniste qui jaillit de Confucius, fut modifié par l’Inde et n’absorba pas les techniques. Ce pays sera le lieu de naissance de la nouvelle civilisation mondiale… »
En attendant, la Chine est plutôt le lieu des divisions entre communistes, patriotes et mouvement chrétien, le théâtre d’une puissante désorganisation ferroviaire avec une notable tendance des trains bondés à partir sans prévenir mais en embarquant les bagages, enfin et surtout c’est ce pays où la gangrène s’opère sans anesthésiant dans des hôpitaux aux lits de paille.
De temps en temps, quand il ne critiquait pas les « détestables habitudes chinoises » (comme de cracher à tout propos) ou ne donnait pas la bonne méthode pour observer une bataille aérienne sans attraper de torticolis, l’élégant Isherwood discutait avec Auden de poésie anglaise en buvant de l’eau chaude, thé de guerre sous les avions qui tombent. Un bon documentaire.
Ludovic Bablon
JOURNAL DE GUERRE EN CHINE
Christopher Isherwood et W.H. Auden
Traduit de l’anglais par Béatrice Vierne
Anatolia/Le Rocher, 309 pages, 21,50 €