La cruauté est un vilain défaut et Le Jeu des cent robes illustre parfaitement le propos, sans drame et sans hystérie. Dans ce court roman composé en trois parties, Eleanor Estes expose d’abord les faits : des moqueries répétées à l’encontre de Wanda, une enfant d’immigrés polonais fraîchement débarquée dans l’école d’une petite ville des États-Unis, puis focalise sur la prise de conscience de Maddie, une des élèves moqueuses et conclut sur les réparations : Peggy et Maddie écrivent une lettre à Wanda. Dans ce roman, pas d’intrigue, pas d’action sinon des idées fortes que l’auteur y véhicule. Et Eleanor Estes avertit : ce qui n’était au départ qu’un jeu s’est transformé « brusquement, de façon imprévisible » en cruauté et « tout le monde s’est laissé entraîner. » Un appel à la vigilance et à la réflexion mené avec finesse par l’auteur, par ailleurs narrateur de cette histoire, qui, en employant un ton neutre et détaché prend le plus possible de distance avec l’affect.
Car c’est à l’intelligence du lecteur que s’adresse en priorité ce roman et la qualité d’écriture participe à l’efficacité du propos : le style est sobre, les phrases sont courtes et le rythme lent du texte (essentiellement descriptif) confère une douceur de ton que l’on retrouve tout le long du roman.
Les mots sont ainsi portés à l’enfant lecteur, lui sont offerts avec égard, pour lui parler d’un sujet grave qui mérite toute son attention. Un lecteur qui peut s’identifier à tous les personnages du livre, même les moqueurs, car aucun d’entre eux n’est pétri de ressentiment ou de profonde méchanceté, à l’instar de Peggy, l’instigatrice du « jeu » qui « protégeait les petits contre les brutes. (…) Si on lui avait dit : « Tu ne trouves pas que c’est une manière cruelle de traiter Wanda ? », elle aurait été bien étonnée. » Nul n’est donc à l’abri de tels comportements et la première personne dont il faut se méfier, semble dire Eleanor Estes, c’est de soi comme lorsqu’elle décrit les moments où Maddie fait son instrospection et analyse ce qui l’a empêché de réagir en faveur de Wanda : sa lâcheté, sa honte, son inconscience…
Un roman plutôt philosophique que moral Le Jeu des cent robes qui, d’une manière subtile interroge sans cesse le lecteur sur la limite entre le bien et le mal, la plaisanterie et la persécution. À la fin du livre, la question demeure ouverte et invite à une réflexion permanente.
Le Jeu des cent robes a paru aux États-Unis en 1944 et on reste surpris, soixante ans plus tard, par sa modernité de ton, son intemporalité et la justesse de son propos.
Le Jeu des cent robes
Eleanor Estes/Beatrice Alemagna
Traduit de l’anglais
par Laurence Kiefé
Casterman, « Cadet »
72 pages, 6,50 €
Jeunesse Vilains défauts
juin 2004 | Le Matricule des Anges n°54
| par
Malika Person
Dans « Le Jeu des cent robes », Eleanor Estes relate le comportement d’enfants cruels envers Wanda, une de leur camarade de classe : une chronique du racisme ordinaire….
Un livre
Vilains défauts
Par
Malika Person
Le Matricule des Anges n°54
, juin 2004.