Leonardo Sinisgalli est né en 1908, au cœur de la Basilicate, qu’il aimait appeler par son nom latin de Lucanie, la patrie d’Horace, région de bois, austère et rurale, à la lumière franche. Cette terre lui inspira presque tous ses livres, de l’exceptionnel carnet de notes Horor Vacui (Arfuyen, 1995), livre à placer aussi haut que le journal de Pavese Travailler fatigue, jusqu’à ce nouveau livre Le Moineau et le lépreux. Poète-ingénieur, en référence aussi à sa carrière professionnelle auprès des grandes firmes telles que Olivetti, Sinisgalli ne cessa de rapprocher les mécanismes de la création scientifique (la compréhension des phénomènes physiques ou celle des conséquences de la géométrie non-euclidienne) de celle de la poésie. Sa pratique du poème est en fait le chas par lequel passe toute la formalisation de ses expériences, qu’elles soient celles d’une émotion face au paysage ou encore la pensée abstraite de la répercussion d’une couleur sur la formation de l’espace. Ce va-et-vient entre le quotidien le plus prosaïque et ces seuils où le langage ne sert qu’à décrire la possibilité de l’incommensurable, délimite l’espace de son poème. C’est alors une expérience rare de la liberté qui se donne à lire : « Les pieds dans les sacs/ les enfants se précipitent dans les venelles./ Ils traînent des poêles, ils éraflent/ les murs, ils frappent les portes/ avec des couteaux. Ils débusquent la misère/ et la mort. » Ou encore, plus loin, à propos d’un rêve éveillé : « Dans le demi-sommeil couché sur le dos/ je regarde en haut le spectre/ d’un chien qui vole ». Sinisgalli a ceci de magnifique qu’il allie dans son poème le donné immédiat de la réalité, sa crudité, à la douceur sans pesanteur de la lumière. Maintenant la tension entre terre et ciel. Une grande œuvre à découvrir.
Le Moineau et le lépreux de Leonardo Sinisgalli
Traduit de l’italien par Thierry Gillybœuf
La Part commune, 96 pages, 13 €
Poésie Passages du simple
janvier 2005 | Le Matricule des Anges n°59
| par
Emmanuel Laugier
Un livre
Passages du simple
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°59
, janvier 2005.