Ce n’est probablement pas le meilleur livre d’Antonio Tabucchi, mais c’est bel et bien du Tabucchi que cette incursion dans l’univers parallèle des rêves. Tour à tour sont mis en scène ici des poètes, là des musiciens, plus loin des peintres. Hommage est ainsi rendu à ceux des écrivains et des artistes que l’Italien révère depuis toujours. Ainsi empruntons-nous une vingtaine de « parcours nocturnes » où l’on croise la veille de son assassinat, un Lorca prémonitoire, un Pessoa rencontrant en tête-à-tête un de ses hétéronymes, un Toulouse-Lautrec qui se voit grand, Le Caravage visité par le Christ en personne. Même Freud est là, errant sous les traits de sa patiente Dora à travers une ville de Vienne en ruines. « Ces récits de substitution ne sont que de pauvres suppositions, de pâles illusions, d’improbables prothèses », prévient modestement Tabucchi en ouverture. Certes l’ensemble est inégal mais que le dessein, à y réfléchir un peu, est vertigineux ! Quand bien même nous serions à tout instant tentés de le croire, ces rêveries ne sont biographiques qu’en apparence. Car Tabucchi, en réalité, puise dans la vie et l’œuvre de chacun, orchestrant très librement entre l’une et l’autre des arrangements, des recoupements. Au service d’une fiction de biographie, d’une intimité recréée, le rêve se tient ici à égale distance du vrai et du faux. À lire en relation avec ces courtes rêveries, des notices biographiques figurant en toute fin viennent d’ailleurs rétablir une certaine vérité biographique. Ce Tabucchi-là, s’il ne paie pas de mine, n’est pas le moins troublant. En tout cas il est beaucoup plus complexe que l’économie des mots (bien rendue, comme toujours, par Bernard Comment) ne le laisse paraître.
Rêves de rêves d’Antonio Tabucchi, traduit de l’italien par Bernard Comment, Folio, 114 pages, 5,40 €
Poches Rêves d’une nuit
mai 2007 | Le Matricule des Anges n°83
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
Rêves d’une nuit
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°83
, mai 2007.