C’est un réflexe humain, quand des forces qui nous dépassent mettent à mal l’échafaudage bâti avec peine de nos existences, d’invoquer la fatalité. Ici aussi, dans ce Portugal rural de l’entre-deux-guerres (ce roman fut publié en 1943), les perdants, ceux que la modernisation et la lutte économique laissent de côté, ont cette tentation : « Peut-être que les responsables de sa ruine n’étaient pas les hommes. Ils n’apparaissaient sur ce champ de bataille que comme les armes d’une force supérieure. La vie prenait ainsi à ses yeux, de jour en jour, les proportions d’un combat contre le destin. » Mariano Paulo est le descendant d’une lignée tenace de paysans qui ont su, patiemment, accroître le « domaine » jusqu’à faire partie des « messieurs du village », « ces salauds de richards » que les journaliers miséreux observent avec respect et jalousie. Sur la lande, sur ces « terres désolées » où souffrent des « hameaux solitaires », il connaît et respecte les travaux et les jours, les rythmes des saisons - mais le monde, au-delà de l’horizon maîtrisé, s’accélère. Quand s’annonce « un hiver de famine », il ne peut que considérer avec pitié ceux qu’il ne peut pas payer davantage : « les grossistes s’entendaient entre eux, achetaient le maïs et le vin pour trois fois rien ». La ruine viendra car « se mettait en mouvement un immense engrenage d’intérêts, envahissant les terres sablonneuses des paysans ». Carlos de Oliveira pratique ici (comme ses contemporains Torga ou Tavares Rodrigues) un « nouveau réalisme » qui allie à la perfection l’analyse psychologique et la description épique, les secrets des êtres frustes et la force implacable de l’Histoire en marche.
La Maison sur la dune de Carlos de Oliveira
Traduit du portugais par Françoise Laye
José Corti, 173 pages, 16 €
Domaine étranger La terre meurt
octobre 2007 | Le Matricule des Anges n°87
| par
Thierry Cecille
Un livre
La terre meurt
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°87
, octobre 2007.