Un écrivain n’enseigne pas, il désenseigne. Il n’apporte pas de réponses, il apporte des questions « : l’adage du grand écrivain algérien Mohammed Dib s’entend ici, dans le nouveau roman de Maïssa Bey, articulé au vif de la narration. Bâti sur 25 courts chapitres, une succession de tableaux hachés par le silence pour retracer cent trente-deux ans de colonisation française en Algérie, cette fresque politico-historique se noue autour de l’opposition principale entre deux figures, deux allégories : celle de Madame Lafrance » vêtue de probité candide et de lin blanc « qui » avance « dans sa mission civilisatrice et sa belle conscience à coups de grands discours et d’exactions ; et celle de l’Enfant, » sentinelle de la mémoire « dont la pérennité du regard à travers les siècles s’érige en témoin innocent de la fureur adulte, et plus largement, de la défaite des hommes dans l’impasse continuée du chaos de la guerre, de la haine et du ressentiment. Le face à face, apparemment simpliste, est percutant, voire redoutable pour faire ressentir la soumission de tout un peuple, ses souffrances à l’encontre des violences endurées (spoliations, opérations de ratissage, ravages au napalm, » enfumades « , » camps de resserrement « ) mais aussi sa soif d’une révolte bientôt inextinguible. Maïssa Bey qui à l’âge de 6 ans, a perdu son père, un instituteur proche du FLN mort sous la torture par l’armée française en 1957, n’assène rien, son seul souci est de revenir sur les imageries et autres clichés à la sauce orientaliste, les falsifications d’une mémoire, tout autant que de rendre hommage à ceux qui sans relâche ont dit non et dénoncé » les silences posés comme des linceuls sur les consciences « …
Porteuse d’une nostalgie inexorable, l’écriture poétique de Maïssa Bey, qui puise profond et grave vers les accents du conte et du mythe, est sans conteste une voix qui a du corps - qui témoigne d’une expérience charnelle de l’Algérie et d’un amour inaliénable pour sa douloureuse beauté.
Pierre Sang Papier ou Cendre de Maïssa Bey, Éditions de L’Aube, » Regards croisés ", 208 pages, 16 €
Domaine étranger Terre et cendres
juin 2008 | Le Matricule des Anges n°94
| par
Sophie Deltin
Un livre
Terre et cendres
Par
Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°94
, juin 2008.