Drieu La Rochelle, Aragon, Malraux, une fratrie d’écrivains dont les destins et les trajectoires s’interpénètrent, trois frères de jeunesse que l’Histoire séparera. Le premier se fourvoiera dans le fascisme et aura un destin tragique, le deuxième deviendra l’une des icônes du Parti communiste français, le dernier, qui voulait être D’Annunzio ou rien, sera le chantre du gaullisme et le promeneur du musée imaginaire.
Au départ, même aspiration au dandysme et même besoin de réagir à la mort de Dieu et aux impasses désespérantes de la raison. Ce sont leurs itinéraires croisés - sur fond d’affrontements entre révolution et anarchie, communisme et fascisme, résistance et Collaboration - que retrace Maurizio Serra. Le parcours de trois hommes unis et déchirés par leurs passions et leurs démons intérieurs. Trois hommes qui, selon leur génie propre et leur nature profonde chercheront une alternative à l’impuissance ou à l’échec. Ce sera la foi idéologico-amoureuse pour Aragon, la confrontation avec la mort puis son dépassement dans la métamorphose propre à l’art pour Malraux, et l’autodestruction pour Drieu La Rochelle.
Fluctuant, velléitaire, revendiquant sa faiblesse jusqu’à la nausée, se nourrissant d’émotions négatives, et toujours en quête d’impossibles certitudes, Drieu finira par trouver dans le fascisme de collaboration le moyen d’incarner l’image du maudit qu’il se sentait être. Une victime consentante dont les engouements politiques, intellectuels, humains ont plus à voir avec la trahison et l’auto-trahison qu’avec la conviction profonde. Un être à la sensualité torturée, véritable clé de voûte de sa vie intérieure et source d’insolubles conflits avec la réalité (Maurizio Serra parle même d’ « érotisme idéologique »). C’est de ce tempérament libertin que témoignent les Notes pour un roman sur la sexualité.
Présentées à la troisième personne, elles relèvent plus de la confession et de la mise à nu que d’une documentation rassemblée en vue de l’écriture d’un roman, et racontent les débuts - assez désespérants - de sa vie sexuelle. Homme de désir, c’est le corps qui l’attire, celui des prostituées et des femmes mûres, expertes, disponibles. Des Notes où l’on découvre un homme terrorisé par la virginité - « Il aimait les femmes tracées par d’autres »-, tout en faux-fuyants, incapable de maîtriser une situation affective, prisonnier de l’alliance du sexe et de l’argent comme de son érotisme égocentriste et de ses phobies. « Il avait horreur de jouir dans la bouche ou la main d’une femme et somme toute il n’aima jamais cela, à cause de l’ídée qu’il se faisait de la virilité positive et du profond besoin qu’il avait de faire jouir la femme et de ne jouir que dans sa jouissance ». C’est franc - « Les femmes étaient des fantômes affolants et désespérants » -, lucide (« Toute sa vie il devait être haï et indirectement brimé par les homosexuels qui voyaient en lui un récalcitrant, un faux frère », impitoyable. « Complètement anarchiste et athée, il voyait dans les jouissances un moyen de destruction qui précédait de peu la blessure, l’agonie et la mort ».
Une mort par suicide au gaz dont il fera un geste d’orgueil et de défi plutôt que de désespoir ou de honte.
Notes pour un roman sur la sexualité
Pierre Drieu La Rochelle
Édition établie et présentée par Julien Hervier
Gallimard, 104 pages, 11 €
Les Frères séparés
Maurizio Serra
La Table ronde, 328 pages, 23 €
Histoire littéraire Drieu, désir et désastre
juin 2008 | Le Matricule des Anges n°94
| par
Richard Blin
Où l’on découvre un Pierre Drieu La Rochelle (1893-1945) rongé par l’autodénigrement et empêtré dans d’indémêlables rapports d’amour-haine.
Un auteur
Des livres
Drieu, désir et désastre
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°94
, juin 2008.