Conjurer la mort par le rire et les mots, tel était le credo de la revue interne des étudiants du sanatorium, Existences. Le pluriel évoque les vies sauvées, les aspirations et les souffrances des tubards. L’éditorial du premier numéro du 1er octobre 1934 s’adresse à l’étudiant guéri parti : « Tu nous verras rire, et trouver tout ce qu’il peut y avoir d’heureux dans notre vie, pour en tirer le maximum de jouissance. Le bonheur est un art qu’il faut apprendre. C’est quand il est limité qu’on l’apprend le mieux. »
Ce premier numéro, composé de quatre pages dactylographiées et agrafées, sera étoffé par la suite sous forme de livret de 26 pages, agrémenté d’illustrations et de caricatures. Ce bulletin de liaison entre malades et ex-pensionnaires propose des rubriques régulières : une chronique sociale, des comptes rendus de l’activité du sanatorium - conférences, concerts et spectacles accueillis, mais aussi réflexions des cercles d’études. Le sommaire contient également des critiques littéraires ou artistiques, des contes, poèmes et nouvelles.
L’une de ses spécificités est son caractère pluridisciplinaire, reflet de cette « Université des neiges » où se côtoient et dialoguent des étudiants en lettres, en sciences, en droit, de jeunes médecins, de jeunes architectes et musiciens. Existences n’est ni une revue littéraire, ni une revue médicale, ni un bulletin d’association. Elle se définit comme « une revue de « jeunes » longtemps avant que le mot soit à l’ordre du jour ».
La revue relève d’un triple intérêt. Elle reflète d’abord la vitalité culturelle et intellectuelle produite sur place. Elle renseigne aussi sur la doxa sociale à l’égard des tubards : « Le grand public (…) a conservé du malade l’image romantique du poitrinaire mourant. Il faut éclairer et réformer l’opinion publique » (N° 13 - 1937). Existences contient encore les traces du contexte politique et économique. Ainsi le N°33 de juillet 1944, relu par l’Autorité Militaire, se voit expurgé de quatre pages qui mentionnent Céline et Charles Maurras. Car l’intérêt d’Existences tient également à ses contributeurs. Entièrement rédigée par les pensionnaires et les anciens, la revue a progressivement ouvert ses colonnes à des auteurs reconnus afin de gagner un plus large public. Anouilh, Audiberti, Camus, Fernand Deligny, Vassili Grossmann, Max Jacob, Prévert, Reverdy, Denis de Rougemont, Supervielle… ont écrit dans Existences. On découvre aussi quelques inédits de Giono, Mallarmé, Paul Valéry, Hemingway… L’intérêt d’Existences réside enfin dans ses multiples métamorphoses, reflet d’une recherche incessante de sa forme, de son contenu et de son lectorat. Elle cesse en 1947 dans le difficile contexte économique de l’après-guerre, faute d’abonnés suffisants et de subventions.
Généralement les revues d’étudiants ont la vie brève. Celle-ci aura duré treize ans. Treize ans de curiosité tous azimuts et d’approches sensibles de… l’existence. Ses rédacteurs successifs ont su rompre le climat d’isolement du plateau des Petites Roches en s’ouvrant au monde avec un regard pluriel. À l’écart de la cité, mais au cœur de la vie intellectuelle, Existences est une photographie de cette période foisonnante. Qui donc ressuscitera Existences ?
Histoire littéraire Ressusciter Existences
février 2009 | Le Matricule des Anges n°100
| par
Camille Decisier
Ressusciter Existences
Par
Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°100
, février 2009.