Loin des automatismes hérités de la tradition, le roman tel que le conçoit Brian Stanley Johnson (1933-1973), relève essentiellement de l’expérimental et d’un désir obsessionnel de dénoncer les mensonges de la fiction. Le roman doit être vérité, doit témoigner d’expériences tangibles. « J’essaie de dire quelque chose pas de raconter une histoire raconter des histoires c’est raconter des mensonges et je veux dire la vérité sur moi sur mon expérience (…), sur l’écriture et sur le fait qu’il n’y a aucune réponse à la solitude et au manque d’amour ». Dans Alberto Angelo (1964), son deuxième roman - mais le quatrième publié par Quidam après R.A.S. Infirmière-Chef (Lmda N° 43), Christie Malry règle ses comptes (Lmda N°53) et Chalut (Lmda n° 85), qu’essaie donc de nous dire B.S. Johnson à travers Albert, un architecte de 28 ans, vivant à Londres, concevant des bâtiments pour la beauté du geste et contraint de gagner sa vie en exerçant le métier de professeur remplaçant ?
Qu’il est bien douloureux de vivre sous l’emprise du souvenir d’un amour mort. Qu’il semble de l’intérêt de l’État de sous-éduquer des enfants tant le climat et les conditions de travail qui règnent dans certains établissements sont délétères. Qu’écrire est le moyen qu’il a élu pour tenter d’exorciser les contradictions et la complexité des êtres qui l’habitent. Que pour reproduire le morcellement d’une telle vie, il faut renoncer au récit linéaire, choisir un dispositif narratif multipliant les voix et les points de vue, mêlant les formes et les genres, et sollicitant toutes les ressources de l’art typographique, jusqu’à trouer la page, ménager en elle des fenêtres permettant de voir le futur. Une mise en déroute de toutes les orthodoxies, qui tient du portrait à la Picasso, de la volonté de ramener le plan à mille facettes, de jouer des formes pour produire des effets de rupture et de concomitance proche de la polyphonie du réel. Développer un style intensif capable de rendre au mieux le carrousel des perceptions et des émotions. Cadrer, découper, mettre en échos, emboîter les présents, l’actuel et l’ancien, ouvrir des perspectives sur l’espace du dedans, les pensées flottantes, les associations d’idées pour coller au mieux au mode d’être de son héros.
C’est un combat qu’on lit, celui de la mise à mort - ici symboliquement orchestrée par ses élèves - d’un incompris vivant dans une sorte d’insupportable entre-deux et dont la vie s’émiette à l’instar de l’image clownesque qu’il donne de lui et de ses élèves. « Yeux bleus, fixes, bouche en boîte aux lettres, oreilles décollées comme des portières grandes ouvertes ».
Entre répliques à l’emporte-rire, et digressions saugrenues - qui pouvait bien être celui qui a eu l’idée de mettre une anse à une tasse ? -, c’est à sa vie qu’Albert cherche à donner un peu de dignité. Comme B.S. Johnson, refusant que le langage perde sa transparence au réel, et flambant la sienne au jazz. « Le jazz, quand j’y pense, c’est ce qui m’a permis de comprendre pour la première fois ce que l’art voulait dire (…). J’imagine que ça conditionne le sens esthétique de manière particulière ». Un blues lancinant, chauffé à blanc, traversé d’éclairs noirs, d’aveux prémonitoires aussi. « Dans la vie, du mieux possible, il faut que j’écrive, il faut que je dise la vérité, pas le choix, même si c’est aussi un supplice, que d’écrire pour passer le temps dont j’ai trop, le temps dont j’ai plus qu’assez, car pour moi la fin ne viendra jamais assez vite, tant que ce n’est pas moi qui la provoque. » Neuf ans plus tard il se suicidera, à 40 ans.
Alberto Angelo de B.S. Johnson
Traduit de l’anglais par Françoise Marel, Quidam Éditeur, 192 pages, 20 €
Domaine étranger Le mentir-vrai de B.S.Johnson
mars 2009 | Le Matricule des Anges n°101
| par
Richard Blin
Typique de ce que sera son univers, le deuxième roman de l’écrivain anglais offre ce mélange d’exigence et de douce folie.
Un livre
Le mentir-vrai de B.S.Johnson
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°101
, mars 2009.