Nous sommes dans la France occupée : le professeur Maisonnier est un anthropologue reconnu, il dirige l’Institut international de paléoanthropologie et de préhistoire et ses derniers ouvrages combattaient les pseudos théories raciales et racistes des pseudos savants nazis. Mais voici que justement les nazis débarquent et veulent obtenir de lui qu’en une honteuse palinodie il se rétracte et passe de leur côté. Autour de lui se pressent et s’affrontent alors fidèles et traîtres, membres de la Gestapo et résistants dissimulés, une femme attentive mais débordée et un fils encore enfant qui deviendra le chroniqueur, dix ans plus tard, de ce destin tragique. Mais ceci n’est rien encore : c’est à Alma-Ata, au Kazakhstan, en 1943, que Iouri Dombrovski imagine ce récit à la fois réaliste et légèrement onirique, conte noir et quelque peu kafkaïen. Il vient d’être libéré après quatre ans de camp et y retournera pour dix ans, ce roman lui-même faisant partie des chefs d’accusation ! En effet, on le jugera peu en rapport avec la ferveur qu’exigeait alors la « grande guerre patriotique », il est digne, accuse-t-on, d’être signé par « l’écrivain fasciste Jean-Paul Sartra (sic) ». Mais ce serait un Sartre doué du sens de l’humour, érudit et sarcastique : Dombrovski démêle avec acuité et verve les tourments d’intellectuels confrontés à l’Histoire. La question est bien : mourir pour des idées ? On peut regretter certaines longueurs, on peut parfois s’essouffler à tenter de suivre les multiples détours de l’intrigue, mais le diagnostic est radical et malheureusement valable pour aujourd’hui et demain sans doute : rares sont ceux qui résistent, quand le « pithécanthrope » reprend le dessus en nous et que « la vertu doit demander au vice de lui pardonner d’exister » (Shakespeare).
LE SINGE VIENT
RÉCLAMER SON CRÂNE
de IOURI DOMBROVSKI
Traduit du russe par Dimitri Sesemann, Verdier poche,
423 pages, 12 €
Domaine étranger Le singe
juin 2009 | Le Matricule des Anges n°104
| par
Thierry Cecille
Un livre
Le singe
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°104
, juin 2009.