Pour certains, la solitude est une bénédiction. Pour d’autres, une oppression de tous les instants, un étouffement. Pour ceux-là, la vie ordinaire est un calvaire, un nid de guêpes : elle pique au cœur. Mais comme tout cela se passe entre métro, boulot et dodo, on ne distingue généralement pas le tragique de ces existences-là. Puis vient un écrivain, Douglas Coupland, qui s’en fait le témoin. Pour son cinquième roman, ce Canadien d’adoption joue au greffier des âmes esseulées, en traçant le portrait de Liz Dunn, bientôt quarantenaire, qui ressemble à une sculpture de Botero et qui, clin d’œil aux Beatles, s’est choisie Eleanor Rigby comme pseudo numérique. Cette célibataire potelée est un peu l’alter ego féminin de l’homme invisible. Sa transparence est dans ces pages un leitmotiv : « Les hommes, quel que soit leur âge, ne me remarquent pas » ; « J’ai appris il y a longtemps à me rendre invisible » ; « Je suis gentille, propre, bien chaussée, bien habillée, mais transparente ». N’allez pas croire cependant que ce livre soit la confession d’une Bridget Jones version quadra boulotte ; Coupland est autrement plus fin. Sur un ton volontiers sarcastique et avec une précision d’anthropologue, il décrit le quotidien pathétique et les mœurs de cette célibataire figurante de sa propre existence : la monotonie des soirées, l’amertume au contact des couples, les crises, la minutieuse comptabilité des blessures qui ne cicatrisent pas, les frustrations, les non-dits et les désirs enfouis. L’apparition du dénommé Jeremy dans la vie de Liz changera tout. Qui est-il pour elle, on vous laisse le découvrir. Disons simplement que sa présence entraîne un gros bouleversement identitaire. Commence alors de s’écrire une algèbre des relations humaines, la vie de Liz, comme toute vie, étant à la fois multiplication et division, addition et soustraction. Dans cette équation à plusieurs inconnues qu’est sa personnalité, l’héroïne de Coupland cherche à remplir les trous, à combler les vides. La moralité de tout ça ? Les gens ne sont jamais a
ELEANOR RIGBY
de DOUGLAS COUPLAND
Traduit de l’anglais par Christophe Grosdidier, 10/18,
299 pages, 7,80 €
Poches Eleanor Rigby
juillet 2009 | Le Matricule des Anges n°105
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
Eleanor Rigby
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°105
, juillet 2009.