Novembre 2004 : Bush fils, avorton inculte, ancien alcoolique et manichéen convaincu, est réélu - sans même un soupçon de fraude cette fois-ci ! L’Amérique a la fièvre - cela arrive à intervalles irréguliers mais cette fois-ci même les spécialistes les plus chevronnés demeurent interdits au chevet du malade qui délire. Roth lui-même s’étonne, lui qui a diagnostiqué, au fil de ses romans, les troubles successifs de ce pays qui fut pourtant jadis et encore naguère, terre d’accueil et de liberté pour beaucoup (dont ses ancêtres). Sans doute a-t-il voulu dans ces pages, de manière quelque peu apotropaïque, conjurer les mauvais démons qui s’exprimèrent en ce sombre mois (les récentes élections, elles, l’ont peut-être, depuis, rassuré…). Mais, avec la démesure qui caractérise nombre de ses œuvres admirables, il mêle à cette évocation de l’Amérique déboussolée, un questionnement sur les affres de la vieillesse, de la sénilité et du désespoir qui menacent Zuckerman, septuagénaire incontinent et en proie à une amnésie aléatoire, confronté à un désir impossible car hors de saison. À tout cela s’ajoute enfin une réflexion (souvent polémique) sur l’entreprise biographique, qui consiste aujourd’hui bien plus souvent (surtout aux États-Unis ?) à découvrir les sordides secrets des hommes plutôt que les mystères profonds de la création…
Zuckerman, retiré depuis onze ans dans la solitude paisible des Berkshires, se rend à New York pour des raisons médicales et répond (de manière modérément invraisemblable) à une petite annonce : un couple de jeunes écrivains échangerait, temporairement, son appartement contre une maison à la campagne - pour y écrire en paix. Zuckerman accède à leur désir car il tombe amoureux de la jeune Jamie, qui a réussi à faire paraître une nouvelle dans le New Yorker et attend depuis que l’inspiration lui revienne - mais la réélection de Bush accentue sa détresse. Parallèlement, Richard Kliman, ancien amant de Jamie, veut écrire une biographie d’E.I. Lonoff, grand écrivain injustement oublié qu’a admiré et un peu connu notre Zuckerman. Il va donc le harceler pour lui soutirer quelques renseignements qui l’aideraient dans son entreprise : révéler la relation incestueuse qui, d’après lui, fut une des sources du génie de Lonoff ! La mise en abyme se renforce encore : Zuckerman écrit (à l’issue de chaque rencontre avec Jamie) le dialogue fantasmatique, confidentiel et amoureux - que la réalité de leurs rapports lui interdit de vivre. Bien sûr l’intelligence de Roth n’est jamais prise en défaut, ses diatribes contre le sort que l’on réserve aujourd’hui aux créateurs ou certaines descriptions de la douleur de vivre vieux, esseulé et diminué, sont d’une grande justesse - mais on a tout de même le sentiment qu’une trop grande facilité remplace ici une véritable nécessité. Les dialogues imaginaires, en particulier, sont bien trop démonstratifs - et ôtent toute part d’ombre et d’énigme au personnage, qui finit alors par n’être plus qu’une sorte de marionnette, parfois plus grotesque que pathétique, entre les mains de l’auteur. De même l’art du récit semble parfois ressortir aux recettes d’ateliers d’écriture (on sait que certaines universités, là-bas, s’en font une spécialité, fort coûteuse) : si certaines digressions sont trop bavardes ou assez mal rattachées à l’intrigue principale, on admire pourtant l’aisance, le savoir-faire - mais c’est là un plaisir fugace. Consolons-nous : contrairement à Zuckerman, l’impuissance ne guette pas Roth - qui nous offrira demain sans doute des œuvres plus consistantes.
Exit le fantôme de Philip Roth
Traduit de l’anglais par Marie-Claire Pasquier
Gallimard, 329 pages, 21 €
Domaine étranger En roue libre
novembre 2009 | Le Matricule des Anges n°108
| par
Thierry Cecille
L’écrivain Zuckerman, héros d’anciens romans de Philip Roth, reprend du service : son dernier sursaut de vie donne au romancier le prétexte d’un récit alerte - mais trop aisé. Roth se laisserait-il aller ?.
Un livre
En roue libre
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°108
, novembre 2009.