Mir N°2
Dite d’anticipation, la revue Mir est logiquement utopiste : elle concentre une sorte de démesure, tout opposée aux calculs et à la frilosité de l’époque, dans l’idée d’un « devant être » où construire une communauté nouvelle. De la taille d’un annuaire, Mir est selon ses fondateurs, Antoine Dufeu et Christophe Manon, une aberration économique. Anticipant elle-même sa folie, elle accueille pour ce N°2 une cinquantaine d’auteurs, et dissémine dans ce volume un moment occulté par l’histoire institutionnelle, celui de la Commune de Paris (1871). La volonté de Mir consiste à confronter des temps d’écriture disjoints : les pages de « L’Histoire de la Commune » d’Arthur Arnould (1833-1895) bordent autant les litanies répétitives de « L’aveuglement des yeux » de Jean-Luc Parant, que les « Évangiles bleu nuit » apocalyptiques et baroques de Christian Edziré Déquesnes. Lorsque Arnould écrit « Là, malgré tous les efforts, je le répète, malgré l’insuffisance des salles d’école, malgré la niaiserie calculée de l’enseignement primaire, remis en partie aux membres du clergé, il y a un tel courant d’idées que l’éducation du peuple se fait par le contact et par les yeux. On pourrait presque dire qu’elle (la révolution) est dans l’air, qu’elle se respire, qu’elle entre dans le cerveau, en même temps que l’oxygène dans les poumons », lui répond Luc Bénazet lorsqu’il désigne la giration de cette expérience, presque pasolinienne : « Nous allons / Nous allons au trou profond de soi / Nous y emmenons la gaine du monde afin / Qu’elle s’y retourne toute / Et le soleil brillait / Nous sommes dehors / Nous devenons été / Nous sommes été / Á notre place, la lumière ».
Tout est scandé dans Mir pour qu’un jeu de rebonds entraîne et crée une constellation, à l’image de la confrontation vivante et créatrice que Walter Benjamin souhaitait entre le passé, le futur et le présent. On fera ainsi le lien entre les pages d’Alexandre Costanzo sur le concept d’« inesthétique » de Badiou avec le « Oui » de Benoît Casas. Résultat « d’un traitement en écriture d’une année de lecture », « Oui » est un enchevêtrement de phrases où le désir, la subversion possible de tout amour réel, la passion de l’extériorité, forment l’espace d’une pensée politique dans le poème. Du « Batchassé » de Cécile Mainardi en passant par un essai sur Jean Eustache ou des poèmes de l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet, retenons encore le nombre de traductions proposées ici, dont celle de l’Autrichien Ernst Jandl, lequel, en une sorte de résistance, écrira : « Je me suis appelé dietrich / de 1926 à 1944. / maintenant je ne m’appelle plus. / de jour en jour je deviens moins / et les immenses remorques de mort / qui depuis quelque temps / tremblent de nouveau sur la terre / accélèrent le processus / de ma formation ultérieure ».
Mir N°2, 590 pages, 40 € (82, rue Jean-Pierre Timbaud 75011 Paris)