Enquête : la littérature est-elle encore engagée?
Pour évoquer la question du rapport que la littérature aujourd’hui entretient avec l’idéologie, le politique, personne ne nous paraissait mieux placé que les écrivains eux-mêmes. Si la très grande majorité des auteurs s’accorde pour rejeter le statut de divertissement que le marché voudrait imposer à la littérature, ils montrent de vraies divergences quant à la nécessité d’aborder de front la politique.
Nous avons choisi d’interroger des écrivains dont l’œuvre ou les propos paraissaient questionner l’engagement, qu’il s’agisse pour eux d’y souscrire ou de s’y soustraire. Nous avons privilégié les voix relativement nouvelles, ou auxquelles on n’a pas été assez attentifs dans le passé, laissant pour l’heure de côté des écrivains dont le nom était pourtant une évidence pour nous comme Michel Surya, Bernard Noël, Christian Prigent, François Salvaing, Alain Badiou, Antoine Volodine, etc.
À quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, nous avons envoyé un courriel à une quarantaine d’entre eux, prenant soin de couvrir tout l’éventail du champ politique. Beaucoup ont regretté le manque de temps, l’espace restreint qu’on pouvait leur offrir. Certains n’ont pas répondu, d’autres l’ont fait rapidement, se félicitant de notre initiative. La règle du jeu était simple : nous leur avons posé trois questions, ils devaient en choisir une et y répondre en 800 signes et en moins de cinq jours. L’enquête peut se poursuivre et nous publierons sur notre site Internet le texte de chaque écrivain qui voudra bien répondre. Voici les trois questions :
Quelles formes d’engagement vous semblent possibles en littérature ?
En quoi diriez-vous que vous êtes ou n’êtes pas un auteur engagé ?
Pourquoi selon vous la littérature doit-elle ou ne doit-elle pas vouloir changer le monde ?
Et voici leurs réponses.
MATHIEU RIBOULET
Apprendre à regarder le monde, éventuellement à le comprendre, dans les années 70 du XXe siècle a laissé en moi une profonde méfiance vis-à-vis de l’engagement, mêlée de curiosité, voire de fascination. Elle explique en partie le long détour qu’il m’a fallu faire par le singulier, l’intime, avant de pouvoir élargir mon champ et tenter, à mon tour, depuis là où je suis parvenu, de rendre compte de ce qui s’agite sous nos yeux aux extrêmes des comportements humains.
Cette lente réappropriation de ce dont j’aurai été d’emblée privé (le sentiment, ou l’illusion, d’avoir la possibilité d’agir sur le monde) ne peut avoir lieu, pour moi, ailleurs que dans l’écriture et ne peut pas ne pas s’accompagner d’une conscience aiguë de ses immenses possibilités comme de ses infranchissables limites.
Cela posé, « Que tout le monde, même un écrivain, fasse du mieux qu’il peut » (H.M. Henzensberger).
Dernier livre paru : Avec Bastien (Verdier)
ANNE SAVELLI
Pourquoi me pose-t-on cette question : c’est la question que je me pose. Parce que j’ai écrit...